Il est difficile de surestimer les ravages causés par la récession mondiale déclenchée par une pandémie en 2020. Il s’agit de la plus grande contraction économique depuis la Grande Dépression des années 1930. Dans le monde entier, des heures de travail équivalentes à 255 millions d’emplois ont été perdues. La Banque mondiale estime que le nombre de personnes en situation de “grande pauvreté”, c’est-à-dire vivant avec moins de 1,90 dollar par jour, est passé de 119 à 124 millions de personnes.
Par Tom Crean
Mais tout le monde n’a pas souffert. Selon une analyse du magazine Forbes, la richesse des milliardaires du monde a augmenté de 1.900 milliards de dollars en 2020 ! Les inégalités, tant au sein des nations qu’entre les pays riches et le monde “en développement”, se sont considérablement accrues.
Les économistes capitalistes sont toutefois désormais optimistes quant aux perspectives de reprise économique mondiale en 2021. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a récemment prévu une croissance économique mondiale de 5,6 % en 2021, après une contraction de 3,5 % en 2020. Cette estimation pour 2021 est en hausse de 1,4 % par rapport à leur projection de novembre. Un bon 1 % de la croissance mondiale supplémentaire estimée est attribué à la loi de relance de 1.900 milliards de dollars adoptée par le Congrès américain au début de ce mois.
Cette projection repose sur un certain nombre d’hypothèses très optimistes qui doivent être remises en question. Elle ne tient pas compte non plus de toutes les contradictions sous-jacentes du capitalisme contemporain. La reprise, qui repose largement sur des injections fiscales et monétaires sans précédent et non durables, sera très inégalement répartie et sera probablement de courte durée avant que la tendance de l’économie mondiale à la dépression ne se réaffirme.
Les perspectives concernant la pandémie
Les projections concernant l’économie mondiale ne peuvent évidemment pas être séparées de l’évolution de la pandémie et des progrès de la vaccination de la population. Certains des pays les plus riches, notamment les États-Unis et la Grande-Bretagne (ainsi qu’Israël), ont fait de grands progrès dans la vaccination de leur population après une gestion désastreuse de la pandémie. Environ un tiers des adultes américains et plus de la moitié des adultes britanniques ont désormais reçu au moins une dose de vaccin. Cela permet d’envisager une réouverture plus large et un “retour à la normale” d’ici l’été.
En général, les projections de croissance de l’OCDE reposent sur des hypothèses optimistes quant à l’évolution de la pandémie. Mais même dans les semaines qui ont suivi l’annonce de l’OCDE, nous constatons une fois de plus que les échecs des gouvernements capitalistes à contenir le virus et à élaborer un plan mondial rationnel de vaccination continuent de créer de nouveaux dangers pour la santé de la population mondiale et pour la reprise économique.
La situation dans l’Union européenne (UE) est très révélatrice. L’automne dernier, les médias capitalistes ont salué l’UE comme une réussite au sein des nations les plus riches, notamment par rapport aux États-Unis et au Royaume-Uni. Mais l’UE est aujourd’hui très en retard dans la course à la vaccination, puisque seulement 12 % de la population allemande, par exemple, a reçu au moins une dose. Ce retard est dû en partie à des interruptions d’approvisionnement et à l’impossibilité de s’approvisionner à un stade précoce, le tout aggravé par un processus de distribution extrêmement incompétent. Puis vint la débâcle du vaccin AstraZeneca en Europe, qui a vu la vaccination s’arrêter complètement pendant plusieurs jours avant de reprendre, plusieurs pays européens bloquant ou limitant toujours son utilisation. Cela n’a fait que contribuer à un scepticisme massif à l’égard des vaccins. Tout cela s’est produit au milieu d’une nouvelle vague désastreuse de la pandémie en Europe avec son lot de nouvelles vagues de confinement.
En plus d’être un coup dur pour le prestige des dirigeants de l’UE comme Merkel et Macron, le chaos vaccinal combiné à la nouvelle vague de COVID a porté un autre coup à l’économie européenne et a mis un grand point d’interrogation sur sa capacité à rouvrir complètement le tourisme cet été. Selon les prévisions actuelles, l’économie de l’UE devrait se contracter de 1,5 % au premier trimestre de 2021 (contre une contraction de 0,8 % auparavant), ce qui signifie que l’UE connaît actuellement une récession à double creux.
En dehors des pays riches, le rythme de la vaccination est encore plus lent et n’a même pas commencé dans de nombreux pays. Au rythme actuel, on estime qu’il faudrait des années pour vacciner la population mondiale. L’Inde connaît actuellement une nouvelle vague, tandis qu’au Brésil, la propagation de nouveaux variants dangereux et la négligence criminelle du régime Bolsonaro mettent le système de santé à rude épreuve.
Dès le début, la réponse à la pandémie a été minée par des systèmes de santé qui, même dans des régions relativement riches comme l’Italie du Nord, ont été considérablement affaiblis par des décennies de coupes budgétaires néolibérales. Cette situation est aggravée par l’absence totale d’une réponse et d’une stratégie de vaccination coordonnées au niveau mondial. Les impérialistes de l’UE, du Royaume-Uni et des États-Unis ont protégé les profits et les “droits de propriété intellectuelle” des géants pharmaceutiques et ont refusé de partager gratuitement les vaccins avec le reste du monde, ce qui accélérerait massivement la campagne de vaccination.
Une telle décision ne serait pas seulement dans l’intérêt de la société, mais aussi dans celui des capitalistes. Plus la pandémie poursuit ses ravages dans de grandes parties du globe, plus il est possible que des variants encore plus dangereux se développent et relancent la pandémie. Mais cette ligne d’action rationnelle est bloquée par la concurrence entre les puissances impérialistes.
Au lieu de cela, nous assistons au spectacle du “nationalisme vaccinal”. D’un côté, il y a la thésaurisation des vaccins avec l’UE qui impose des contrôles à l’exportation et l’Inde, un important producteur de vaccins, qui interdit les exportations pour le moment. Les États-Unis sont susceptibles de disposer d’un stock massif de vaccins dans les mois à venir, mais ils se sont très peu engagés à partager leurs excédents avec d’autres pays. Entre-temps, la Chine et la Russie ont utilisé les dons de vaccins à des pays particuliers dans le cadre de leur offensive diplomatique dans le cadre de la nouvelle guerre froide avec les États-Unis. Les États-Unis, l’Inde, l’Australie et le Japon, qui agissent collectivement comme “la Quadrilatérale” en matière de sécurité, ont répondu par un plan visant à produire un milliard de doses de vaccin en Inde, financé par les États-Unis pour l’Asie du Sud-Est, ce qui constitue manifestement une tentative de contrecarrer la diplomatie chinoise en matière de vaccins.
Les difficultés à atteindre l’immunité collective en raison de l’échec total d’une approche globale d’une crise mondiale et le danger de variants plus mortels laissent présager de sérieuses complications pour la perspective de croissance décrite par l’OCDE.
L’effet des mesures de relance américaines sur l’économie mondiale
Toutefois, à moins d’une évolution désastreuse à court terme, les pays riches – en particulier ceux où le déploiement des vaccins est rapide – verront leur économie se rouvrir plus ou moins rapidement au cours de l’année 2021 et un rebond économique significatif est probable. Après un effondrement économique en 2020 touchant 93 pays, les chiffres de croissance sembleront toutefois plus impressionnants qu’ils ne le sont réellement.
Un facteur clé dans les projections de croissance mondiale est la demande refoulée dans un certain nombre de pays riches. Une partie de la population, notamment de la classe moyenne, a économisé de l’argent pendant la pandémie en travaillant à domicile et en ne voyageant pas. Toutefois, ce sont les mesures de relance massives adoptées dans un certain nombre de pays qui contribuent le plus à la demande. Alors que les mesures de relance adoptées aux États-Unis depuis le début de la pandémie équivalent à 27 % du PIB, celles de l’Allemagne équivalent à 20 % et celles du Japon à probablement 30 %.
Mais il est clair que le nouveau plan de relance américain revêt une importance internationale particulière. Il équivaut à un pourcentage stupéfiant de 9% du PIB américain ; l’OCDE prévoit maintenant que l’économie nationale américaine connaîtra une croissance de 6,5% cette année, un niveau de croissance jamais atteint depuis le début des années 80. Les effets d’entraînement de l’augmentation de la demande américaine sur les principaux partenaires commerciaux des États-Unis, notamment le Canada et le Mexique, mais aussi la Chine et l’Union européenne, sont également importants. L’année dernière, la demande des pays riches en Equipement de protection individuels (EPI), ordinateurs, équipements d’exercice et divers autres biens de consommation durables a contribué massivement aux exportations chinoises, permettant à la Chine d’être la seule grande économie à afficher une croissance nominale, même si les performances de l’économie ont été considérablement exagérées par le régime. Sur base du nouveau plan de relance américain, la banque UBS a revu à la hausse ses prévisions de croissance des exportations chinoises pour cette année, les faisant passer de 10 % à 16 %.
Dans les pages financières des grandes publications bourgeoises, on discute beaucoup de la manière dont le projet de loi de relance entrainerait une hausse de l’inflation aux États-Unis et obligerait la Réserve fédérale à augmenter les taux d’intérêt pour couper dans une économie en “surchauffe”. Le plan de relance de Biden et les précédents plans de relance de 2020 ont tous été financés exclusivement par l’emprunt. Après avoir utilisé pendant des décennies le spectre de l’inflation pour justifier des mesures d’austérité, la Réserve fédérale et le département du Trésor américain ont opéré un virage à 180 degrés et déclarent désormais que l’inflation n’est plus une préoccupation majeure. Le directeur de la Fed, Jerome Powell, a déclaré que même si l’inflation se manifestait dans le courant de l’année, elle serait temporaire et ne justifierait pas une hausse importante des taux d’intérêt, ce qui est important car si le coût des emprunts devait augmenter, cela pourrait déclencher la prochaine récession et compliquer les plans de relance. En fait, de nouvelles mesures seront probablement nécessaires, même si elles sont plus ciblées, tandis que les inévitables tentatives de remplacer les mesures de relance par l’austérité risquent de déstabiliser l’économie mondiale au cours de la prochaine période.
Il faut souligner que la capacité des États-Unis à emprunter des sommes aussi faramineuses repose sur des taux d’intérêt historiquement bas et une inflation faible, ainsi que sur la position du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale. L’impérialisme américain est dans la position privilégiée de pouvoir accéder à des fonds apparemment illimités à très peu de frais. Comme l’a dit Léon Trotsky à propos des politiques du New Deal dans les années 1930, il s’agissait d’une “politique américaine par excellence”, indisponible à la plupart des pays et certainement pas aux pays pauvres. Et si les mesures de relance des pays riches peuvent donner un certain coup de pouce aux pays pauvres, elles auront également tendance à détourner davantage les investissements des pays pauvres et à exacerber leurs propres crises de la dette.
Biden a maintenant dévoilé un autre plan d’infrastructure massif en deux étapes de 3 à 4 trillions de dollars qui, selon lui, sera financé par une augmentation de l’impôt sur les sociétés et des taxes sur les riches. Bien que cela soit présenté comme faisant partie d’une stratégie de lutte contre le changement climatique et comme un programme d’emploi visant à remédier aux inégalités, ce plan s’inscrit également dans le cadre de l’intensification de la concurrence avec l’impérialisme chinois. Mais alors qu’une partie de la classe dirigeante considérera l’augmentation de l’impôt sur les sociétés comme un prix nécessaire à payer pour atteindre certains objectifs stratégiques, celle-ci rencontrera une résistance importante de la part des sections qui s’opposent à l’augmentation des impôts avec une ferveur toute religieuse.
L’éloignement de la politique néolibérale
L’ampleur des mesures adoptées par la classe dirigeante américaine dans cette crise représente un changement de cap majeur. Se référant à l’ampleur de l’intervention fiscale et à la campagne de vaccination, le Financial Times (3/13/21) a récemment souligné : “Pris dans son ensemble, cet élan d’activisme gouvernemental fait écho au New Deal de Franklin Delano Roosevelt pendant la Dépression et aux réformes de la Grande Société de Lyndon Johnson dans les années 1960. Le président américain et de nombreux démocrates espèrent également qu’il pourra devenir une puissante réfutation du commentaire de Ronald Reagan en août 1986 : “les mots les plus terrifiants de la langue anglaise sont : “Je suis du gouvernement et je suis là pour vous aider”. Ce mantra a inauguré une période de déréglementation, de faibles impôts, de dépenses intérieures limitées et de croyance dans les marchés libres comme principaux piliers de la politique économique américaine. Ces recettes ont commencé à être remises en question après la crise financière mondiale, même si elles ont été partiellement ravivées sous l’administration de Donald Trump. Pourtant, elles n’ont pas pu faire face aux assauts de la pandémie, qui a laissé les Américains aspirer à une plus grande implication de Washington, offrant à Biden une chance de combler ce vide.”
L’abandon de la politique néolibérale par l’élite américaine que décrit le Financial Times résulte de plusieurs facteurs, comme l’a souligné Alternative Socialiste Internationale (ASI, dont le PSL/LSP est la section belge). Tout d’abord, il s’agit de la deuxième crise massive à laquelle le capitalisme est confronté en un peu plus d’une décennie. Pendant la crise financière de 2008-9, l’accent a été mis sur la politique monétaire, en injectant de l’argent (notamment par le biais de l’assouplissement quantitatif) sur les marchés financiers pour soutenir le système bancaire. Mais comme l’admettent les banquiers centraux eux-mêmes, se concentrer uniquement sur la politique monétaire aurait été désastreux cette fois-ci. Les confinements nationaux ont engendré la menace d’un effondrement de la demande et d’une misère de masse qui ne pouvait être évitée que par une intervention fiscale d’une ampleur sans précédent depuis le New Deal.
Deuxièmement, dans le cas de l’administration Biden, il y a une détermination à “tirer les leçons” de 2008-9. De l’avis de nombreux économistes libéraux, les mesures de relance limitées combinées à une austérité massive dans l’UE et aux États-Unis à cette époque ont rendu la reprise économique ultérieure beaucoup plus lente et moins profonde.
Enfin, la classe dirigeante américaine constate que les inégalités de masse et la polarisation politique extrême ont contribué à la rébellion Black Lives Matter de l’été dernier, puis à la menace de coup d’État de Trump et à l’assaut du Capitole le 6 janvier. Ils se rendent compte qu’ils risquaient de perdre le contrôle de la situation et qu’il est donc nécessaire de faire des gestes pour restaurer la confiance dans l’État afin de prendre de l’avance sur la prochaine explosion sociale.
La situation reste profondément instable
Le rebond probable de l’économie mondiale représente-t-il le début d’une reprise plus générale ? Certains médias bourgeois ont comparé la situation aux conséquences de la Première Guerre mondiale et à l’épidémie de grippe espagnole dévastatrice de 1918-20 qui a été suivie par les “années folles” aux États-Unis et en Europe.
Ces attentes sont infondées. La cause sous-jacente de la crise actuelle et de la crise de 2008-09 est le caractère de plus en plus parasitaire et sclérosé du capitalisme. Durant l’ère néolibérale, qui a débuté à la fin du boom d’après-guerre, à la fin des années 70, la classe capitaliste a restauré sa rentabilité en s’attaquant au secteur public et au niveau de vie des travailleurs. Elle a également profité de l’ouverture de nouveaux marchés après l’effondrement du stalinisme. Cela a conduit à une augmentation massive des inégalités et a sapé la capacité des travailleurs à absorber la richesse produite. Il en a résulté une diminution de la rentabilité des investissements productifs et une baisse de la croissance de la productivité, les capitaux excédentaires étant injectés dans le casino financier.
Le rebond, alimenté par des dépenses massives de l’État, ne résoudrait aucun de ces problèmes. Même aux États-Unis, alors que le rebond pourrait ramener des millions de personnes au travail, il sera loin de résoudre la dévastation causée par la crise de 2020, y compris l’endettement massif affectant de grandes sections de la classe ouvrière, la forte baisse de la participation des femmes au marché du travail, et les centaines de milliers de petites entreprises qui ne rouvriront pas.
Le rebond est également payé par une augmentation massive de la dette publique qui, aux États-Unis, a atteint une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Cette situation n’est pas viable, d’autant plus qu’il n’y a aucune perspective d’une période prolongée de croissance significative. Au lieu de cela, comme dans toutes les crises précédentes, la classe dirigeante cherchera à présenter la facture de la crise à la classe ouvrière au cours de la période suivante, ce qui ne fera qu’accroître l’avilissement et l’inégalité.
En outre, l’hypothèse selon laquelle l’inflation et les taux d’intérêt resteront très bas, ce qui a permis une telle frénésie d’emprunts, est ahistorique. L’inflation pourrait augmenter à la fin de cette année, même si le contexte global reste déflationniste. Mais quelles que soient les assurances actuelles de la Fed, une forte poussée d’inflation, même temporaire, pourrait forcer une hausse des taux d’intérêt et mettre fin rapidement au rebond.
Outre la possibilité d’une “surchauffe” de l’économie réelle, il y a une crise financière imminente qui est également alimentée par l’injection massive de liquidités sur les marchés financiers depuis mars de l’année dernière, qui ont également contribué à prévenir une implosion. Cela a créé des bulles spéculatives dans les actions et autres actifs, y compris le logement.
Un autre élément déclencheur de la prochaine phase de la crise économique mondiale pourrait être le défaut de paiement imminent de la dette de toute une série de pays pauvres qui ne disposent pas des outils monétaires et fiscaux dont disposent les pays impérialistes et qui ont été généralement frappés bien plus durement par la récession économique. La situation du Liban est particulièrement extrême : la corruption rampante et les dysfonctionnements de l’appareil d’État ont provoqué un effondrement bancaire et une hyperinflation. De larges pans de la population ont été paupérisés. Tel pourrait être le sort de nombreux pays au cours de la prochaine période.
En bref, il n’y a aucune base pour un retour à une situation stable pour le capitalisme. Les gouvernements ont utilisé une puissance de feu monétaire sans précédent pour éviter un effondrement complet en 2008-9. Ils utilisent maintenant une puissance de feu budgétaire et monétaire sans précédent pour faire face à cette crise. Que feront-ils lorsque la prochaine crise frappera ?
ASI a qualifié cette période de dépressive. Cela ne signifie pas que toutes les lignes de tendance doivent constamment pointer vers le bas, mais plutôt qu’il n’y a pas de chemin vers une croissance stable pour le capitalisme. Et une période de dépression ne signifie pas qu’il ne peut y avoir de reprises temporaires, comme ce fut le cas lors de la Grande Dépression des années 1930.
Démondialisation
La tendance dépressive est aggravée par la tendance à la démondialisation. La pandémie a exercé une pression énorme sur les chaînes d’approvisionnement mondiales et a mis en évidence les problèmes massifs du modèle de production “just-in-time”, en particulier dans le domaine des soins de santé, les pays et les régions s’efforçant de garantir l’accès aux fournitures médicales vitales. Plus récemment, le porte-conteneurs Ever Given, coincé pendant une semaine dans le canal de Suez et bloquant une artère commerciale vitale, est devenu emblématique de ces tensions.
La rivalité stratégique entre les États-Unis et la Chine a accéléré le processus de “découplage” économique entre les deux pays. Pendant des années, la Chine a consciemment cherché à utiliser les investissements de l’État pour développer sa force dans les technologies de pointe. Elle a cherché à sécuriser l’approvisionnement en matières premières essentielles au niveau mondial et à renforcer les industries stratégiques. Les États-Unis vont maintenant prendre la même direction. Une pénurie de puces électroniques a déjà entraîné l’arrêt temporaire d’un certain nombre de chaînes de production aux États-Unis, ce qui alimente les discussions sur la manière de garantir l’approvisionnement américain de ce composant essentiel à la fabrication. Tout cela pointe vers plusieurs chaînes d’approvisionnement régionales plutôt que vers un système mondial intégré.
Sous Trump, les États-Unis ont imposé d’importants tarifs douaniers sur les importations chinoises. Certains s’attendaient à ce qu’ils soient annulés ou réduits sous Biden. Mais jusqu’à présent, rien n’indique que ce soit le cas. Au contraire, les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne et l’Union européenne ont récemment imposé des sanctions à des responsables chinois en raison de leur politique à l’égard de la minorité ouïghoure du Xinjiang, ce qui a entraîné des contre-sanctions de la part de la Chine. Un nouvel accord d’investissement entre la Chine et l’UE semble désormais compromis. Pendant ce temps, en Chine, des boycotts sanctionnés par l’État sont organisés contre les détaillants étrangers qui ont critiqué leur politique.
On fait souvent la comparaison avec la guerre froide entre l’Union soviétique et les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Mais il s’agissait d’un conflit entre deux systèmes sociaux concurrents qui ne faisaient pas partie d’un marché mondial intégré. Il s’est également produit pendant la plus grande reprise économique de l’histoire du capitalisme. La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ressemble davantage à la période de l’entre-deux-guerres, de 1918 à 1939, une période de stagnation généralisée pour le capitalisme, avec des rivalités mondiales croissantes.
Un niveau élevé de protectionnisme était également un trait caractéristique de l’entre-deux-guerres, en particulier des années 1930. Il est bien sûr vrai que l’économie mondiale est beaucoup plus intégrée aujourd’hui et qu’il n’est pas facile d’y remédier. Mais c’est la ligne de tendance qui est importante. La réaffirmation des intérêts nationaux et le fait que les pays soient de plus en plus divisés en deux “camps” mineront davantage le type d’économie mondiale intégrée qui existait au cours des dernières décennies. Toutefois, le recours croissant des gouvernements capitalistes à l’intervention de l’État et à une politique économique nationaliste ne permettra pas d’éviter ou de résoudre de nouvelles crises, pas plus qu’il ne l’a fait dans les années 30.
Pas d’issue sous le capitalisme
Si de nouveaux variants ou de nouveaux problèmes liés aux campagnes de vaccination peuvent affecter l’ampleur de la reprise économique cette année, ils ne l’arrêteront probablement pas complètement. Mais le rebond sera temporaire et toute une série de facteurs peuvent déclencher la prochaine étape de la crise. Et, bien entendu, les bénéfices éventuels seront répartis de manière très inégale dans le monde.
Une reprise temporaire peut, cependant, avoir un impact positif sur la lutte des classes dans de nombreux pays, en donnant aux travailleurs plus de confiance pour agir. Dans de nombreux pays, nous avons déjà constaté que les travailleurs de la santé et le personnel enseignant étaient prêts à se soulever malgré leur épuisement.
La colère est massive en raison de la façon dont les systèmes de santé dégradés ont causé tant de pertes de vie et de l’échec à protéger les travailleurs de première ligne pendant la pandémie. Toute tentative d’annuler les aides et les protections qui empêchent les gens de tomber dans la misère suscitera une forte résistance. La demande de changements permanents au profit de la masse de la population augmentera.
L’aspiration à des changements fondamentaux sera encore plus forte à mesure que les effets du changement climatique s’aggraveront. C’est l’autre crise, encore plus profonde, qui a été temporairement reléguée au second plan par la pandémie et la crise économique.
En voyant jusqu’où le capitalisme est prêt à aller pour sauver ce système en décomposition, des dizaines de millions de personnes se demanderont pourquoi nous ne pouvons pas nous débarrasser complètement du capitalisme. Tous les développements contemporains montrent qu’il est urgent d’adopter une planification rationnelle, démocratique et globale, basée sur la propriété publique des secteurs économiques clés, afin de relever les défis auxquels nous sommes confrontés en tant qu’espèce.