Les idées de Léon Trotsky et le trotskisme ont été largement dénigrés et caricaturés au cours de l’histoire. Qui était réellement Trotsky, qu’est-ce que le trotskisme et quelle peut encore bien être la pertinence de tout ça aujourd’hui dans les années 2020 ?
Par Paul Hunt, Socialist Alternative (section d’Alternative Socialiste Internationale en Angleterre, au Pays de Galles et en Ecosse)
L’éminent dirigeant raciste de l’impérialisme britannique Winston Churchill a un jour déclaré à l’ambassadeur soviétique Ivan Maïski: « Je déteste Trotsky ! C’est une très bonne chose que Staline se soit vengé de lui ». Staline, quant à lui, s’est à un moment emporté en disant : « Le trotskisme s’est transformé en une bande frénétique et sans principes de démolisseurs, de diversionnistes, d’espions et de tueurs. » (Plenum du Comité central du PCURSS, mars 1937).
Ces deux citations témoignent de la haine viscérale exprimée tant par l’impérialisme que par les staliniens à l’égard de Trotsky et des idées pour lesquelles il s’est battu : le socialisme révolutionnaire, l’internationalisme prolétarien et la démocratie ouvrière.
La vie de Trotsky
Né en 1879, Trotsky a joué dès son plus jeune âge un rôle de premier plan au sein du mouvement ouvrier. Après s’être retrouvé à la tête du Soviet de Saint-Pétersbourg lors de la révolution de 1905, il a également joué un rôle de premier plan dans le monumental événement que fut la révolution russe victorieuse sous la direction des bolcheviks, au côté de Lénine.
Au lendemain de cette victoire et des premiers de l’Etat ouvrier, pas moins de 21 armées impérialistes étrangères ont tenté d’étouffer la jeune Russie soviétique en venant prêter main forte aux armées contre-révolutionnaires « blanches ». Trotsky a créé l’Armée rouge de toutes pièces, l’armée qui a finalement réussi à repousser ces multiples tentatives de destruction de la révolution.
La révolution a survécu, mais hélas dans l’isolement et dans un pays détruit par la Première guerre mondiale et la guerre civile. Les mouvements révolutionnaires nés à l’époque en Europe, notamment en Allemagne en 1918, ont échoué faute de disposer d’une organisation révolutionnaire éprouvée comme l’étaient les bolcheviques en Russie. Cette situation dramatique a ouvert la voie à l’essor d’une bureaucratie avec Staline à sa tête. En dépit de la vision fermement internationaliste des révolutionnaires de 1917 et des bolcheviques, les staliniens ont élaboré la théorie du « socialisme dans un seul pays », ce qui revenait à renoncer à l’idée d’une révolution mondiale, contrairement aux objectifs des bolcheviques et de Lénine.
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Un fleuve de sang
Les ennemis de la révolution et du socialisme en général aiment à considérer le stalinisme comme un résultat logique du socialisme et prétendent que tout mouvement révolutionnaire aboutira à la bureaucratie et à la dictature, que les germes de cette dégénérescence se trouvent dans le bolchevisme. Rien n’est plus faux. Lénine lui-même, sur son lit de mort, a proposé de faire bloc avec Trotsky contre Staline pour défendre les idéaux de la révolution.
Staline et la bureaucratie qui a progressivement usurpé le pouvoir ont dû, pour y parvenir, lancer une véritable nouvelle guerre civile contre les idées de la révolution d’Octobre, une guerre contre l’internationalisme et la démocratie ouvrière qui allait de pair avec le recul des conquêtes sociales de la révolution.
En 1923, Trotsky et d’autres vétérans bolcheviks a constitué l’Opposition de gauche pour riposter à cette dégénérescence bureaucratique. Mais alors que la contre-révolution stalinienne gagnait en ampleur, Trotsky a fini par être exclu du parti communiste (en 1927) avant d’être exilé en Asie centrale (1928) puis banni d’URSS (1929). Des dizaines de milliers d’opposants de gauche ont quant à eux été envoyés dans des camps en Sibérie où ils ont été emprisonnés et torturés. En dépit de l’horrible répression d’État, ils ont entretenu la flamme du marxisme contre les distorsions et les mensonges staliniens, en produisant le Bulletin de l’Opposition, qui était distribué clandestinement.
Trotsky a écrit dans son livre, La révolution trahie (1937) : « La chute de la dictature bureaucratique actuelle, si elle n’est pas remplacée par un nouveau pouvoir socialiste, signifierait un retour aux relations capitalistes avec un déclin catastrophique de l’industrie et de la culture. » C’est exactement ce qui s’est produit avec l’effondrement de l’URSS. L’analyse développée par Trotsky a permis de donner une explication de ce phénomène neuf tout en guidant les révolutionnaires quant aux tâches qui les attendaient, eux et les travailleurs d’Union soviétique.
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La lutte contre le fascisme
Les écrits de Trotsky sur la manière de combattre le fascisme dans les années 1930 restent d’une grande actualité. Les partis communistes de l’époque ont oscillé entre l’idée du « social-fascisme » (analyse selon laquelle les dirigeants des partis sociaux-démocrates de masse étaient considérés comme pires que des fascistes) et celle du Front populaire, qui considérait que les organisations de la classe ouvrière (communistes et sociaux-démocrates) devaient s’allier à la couche prétendument « progressiste » de la classe capitaliste (et donc doucir leur programme à cette fin) pour repousser le fascisme.
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Ces politiques erronées ont ouvert la voie à la tragédie et la défaite. Ce fut le cas en Allemagne où la division des communistes et des sociaux-démocrates a contribué à ouvrir la voie à Hitler. Ce fut aussi le cas durant la révolution espagnole, qui s’est effondrée jusqu’à la victoire de Franco. Trotsky préconisait un front unique des organisations ouvrières en Allemagne pour écraser les forces du fascisme, mais les dirigeants du parti communiste n’en ont pas tenu compte, ce qui a eu des conséquences terribles.
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La révolution permanente
La pertinence de la théorie de la révolution permanente, qui allait à l’encontre de l’orthodoxie de la plupart des marxistes du début du XXe siècle, a été démontrée par les événements de la révolution russe. Cela a illustré à quel point Trotsky était un penseur dynamique et original. Cette théorie est toujours d’actualité.
Trotsky soutenait que la classe capitaliste en Russie était trop faible et trop liée au capital étranger pour jouer le rôle historique qu’elle avait joué dans des pays comme la France et la Grande-Bretagne, en se débarrassant du féodalisme et en établissant un État-nation capitaliste. C’était donc à la classe ouvrière qu’il revenait de jouer le rôle principal, non seulement en se débarrassant des chaînes de l’oppression féodale, mais aussi en s’attelant directement aux tâches de la révolution socialiste pour garantir les droits démocratiques et nationaux.
La théorie de la révolution permanente est un guide aujourd’hui dans le monde néocolonial où le capitalisme s’est avéré incapable de garantir les libertés et les droits démocratiques fondamentaux.
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Le trotskisme aujourd’hui
Trotsky a finalement été assassiné par un agent stalinien au Mexique en 1940. Cependant, lui et ses partisans ont assuré la continuité du socialisme révolutionnaire et de l’internationalisme. Le socialiste américain James P. Cannon a décrit le trotskisme comme « non pas un nouveau mouvement, une nouvelle doctrine, mais la restauration, la renaissance du marxisme authentique ».
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L’internationalisme de Trotsky n’était pas abstrait, mais découlait de sa compréhension de la nécessité de vaincre le capitalisme à l’échelle mondiale. Cela a joué un rôle clé dans la décision des bolcheviques de fonder la Troisième Internationale (communiste) en 1919 et, après la dégénérescence de cette organisation, Trotsky s’est battu pour la création de la Quatrième Internationale en 1938. La Quatrième Internationale naissante n’a pas pu survivre à l’impact de la Seconde Guerre mondiale. Nombre de ses membres dirigeants ont été tués et elle ne disposait pas de l’expérience politique requise pour résister à la situation compliquée de l’après-guerre, ce qui a entraîné sa dégénérescence.
Alternative socialiste internationale (ASI)
ASI plonge ses racines dans la révolution bolchevique, la lutte de Trotsky contre le stalinisme et la nécessité d’une transformation socialiste de la société à l’échelle internationale. Nos précurseurs ont entamé le processus de reconstruction d’un parti mondial de la révolution socialiste, que nous poursuivons aujourd’hui dans plus de 30 pays. La crise mondiale du capitalisme et la nature de ce système l’exigent. Nous construisons ASI pour en faire une force capable de changer le cours de l’histoire de manière décisive. Les idées du trotskisme y joueront un rôle central. Nous invitons tous les lecteurs à nous rejoindre dans cet important combat.
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