La bravoure de l’Orchestre rouge illustre toute la force d’un antifascisme armé d’une alternative politique

A l’occasion de la sortie du livre « Sophia Poznanska. L’histoire d’une héroïne de la Résistance antinazie », notre camarade Geert Cool avait écrit une préface qui soulignait le rôle de ces héros et héroïnes de la résistance antifasciste qui peuvent servir aujourd’hui d’inspiration à celles et ceux qui se dressent contre l’extrême droite, contre l’oppression et pour une société socialiste. Nous la publions ci-dessous suite au décès de Gilles Perrault, auteur d’un ouvrage de référence sur « L’Orchestre rouge ».

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L’Orchestre Rouge occupe une place remarquable dans les diverses résistances qui ont combattu le nazisme. Ce réseau d’espionnage héroïque recueillait des informations auprès des échelons les plus élevés de l’appareil nazi pour les transmettre à Moscou. C’est par son intermédiaire que l’URSS a par exemple été avertie de l’imminence de l’invasion allemande. Malheureusement, le réseau s’est heurté non seulement à la persécution impitoyable des nazis, mais aussi aux intérêts à court terme de la bureaucratie stalinienne soviétique qui empêchaient toute perspective plus large et qui étaient en contradiction avec les intérêts de la classe ouvrière. La tragédie fut complète lorsque le principal pionnier de l’Orchestre rouge, Leopold Trepper, a été emprisonné plusieurs années dans les goulags russes après la guerre.

Le pouvoir de la conviction politique dans la lutte antifasciste

Plusieurs écoles de pensée se retrouvent dans la littérature consacrée à l’Orchestre Rouge. Certains présentent les choses comme une simple histoire d’espionnage sensationnel dans laquelle le contexte politique n’occupe qu’une place négligeable.1 Mais l’essence même de l’Orchestre Rouge, c’est l’inébranlable conviction politique antifasciste de ses membres. Sans cela, jamais le réseau n’aurait pu être aussi fort. Il n’aurait peut-être même pas pu voir le jour. Pourtant, le stalinisme, dont se réclamaient les militants de l’Orchestre Rouge, a commis erreur sur erreur concernant l’estimation du danger fasciste.

À l’été 1939, alors que la menace du fascisme était évidente, Staline conclut un pacte avec Hitler dans l’espoir d’éviter une invasion nazie de la Russie. Une partie secrète du pacte abordait toutefois la partition de la Pologne entre l’Allemagne et la Russie. Cela explique pourquoi, de nombreux dirigeants du parti communiste polonais avaient auparavant été éliminés. Jamais ces derniers n’auraient accepté une telle division. Jusqu’à l’invasion allemande de juin 1941, l’opération Barbarossa, l’Union soviétique a continué d’exporter des céréales, du pétrole, du caoutchouc et des minerais vers l’Allemagne nazie.2 Le stalinisme était bien mal préparé à affronter le fascisme. Au début des années 1930, sa politique d’ultragauche de la « troisième période »3 signifiait de qualifier quasiment tout le monde de fasciste. Le stalinisme a sous-estimé la menace réelle et s’est activement opposé à toute évolution vers un front uni des travailleurs à la base. Après la prise de pouvoir d’Hitler, qui, contre les attentes de Staline, n’a pas été de courte durée et n’a pas préparé la voie à une révolution communiste, le stalinisme a adopté un tournant avec la politique opportuniste du Front populaire. Ce n’était pas un front uni au sein de la classe ouvrière, mais un front de tous les antifascistes, y compris les courants bourgeois et petits-bourgeois. En pratique, cela signifiait de subordonner la politique de la classe ouvrière à celle de la bourgeoisie.

Le pacte Hitler-Staline de 1939 a semé la confusion parmi les militants communistes en Europe. Staline voulait tout faire pour ne pas provoquer l’Allemagne nazie. Il espérait que la guerre se limiterait au front occidental et que le pacte maintiendrait l’Union soviétique hors de celle-ci. Le corollaire de cette politique dans les faits était que le réseau d’espionnage visant l’Allemagne nazie était relativement faible.4 Si l’Orchestre Rouge a finalement pu livrer une contribution si significative, c’est en grande partie dû aux efforts héroïques de ses membres.

L’Orchestre Rouge était composé de militants déterminés qui avaient su correctement apprécier la menace du fascisme. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si nombre d’entre eux étaient d’origine juive, à la suite de la radicalisation de la jeunesse d’origine juive qui a eu lieu dans les années 1920 et 1930. Beaucoup se sont orientés vers le mouvement ouvrier et se sont engagés dans les partis communistes en rompant avec le « sionisme de gauche » dans lequel ils ont fait leurs premiers pas politiques. Mais parallèlement, ils ressentaient quel danger le fascisme représentait pour eux-mêmes et leur famille. Beaucoup sont allés combattre en Espagne contre les troupes de Franco à partir du milieu des années 1930. Sur les 2.400 militants qui ont quitté notre pays pour l’Espagne, 800 étaient d’origine étrangère, dont 200 Juifs.5 Il leur était logique de résister aux nazis.

Leopold Trepper ne savait que trop bien que la conviction politique est un facteur important pour accroître la persévérance et le courage. Dans son livre ‘Le grand jeu’, Trepper décrit comment les trotskystes ont été les seuls à s’opposer au stalinisme avec dignité et exemple. « Les lueurs d’Octobre s’éteignaient dans les crépuscules carcellaires. La Révolution dégénérée avait donné naissance à un système de terreur et d’horreur où les idéaux du socialisme étaient bafoués au nom d’un dogme fossilisé que les bourreaux avaient encore le front d’appeler marxisme. Et pourtant nous avons suivi, déchirés mais dociles, broyés par l’engrenage que nous avions mis en marche de nos propres mains. (…) Mais qui donc à cette époque protesta ? Qui se leva pour crier son dégoût ? Les trotskystes peuvent revendiquer cet honneur. À l’instar de leur leader, qui paya son opiniâtreté d’un coup de piolet, ils combattirent totalement le stalinisme, et ils furent les seuls. À l’époque des grandes purges, ils ne pouvaient plus crier leur révolte que dans les immensités glacées où on les avait traînés pour mieux les exterminer. Dans les camps, leur conduite fut digne et même exemplaire. Mais leur voix se perdit dans la toundra. Aujourd’hui, les trotskystes ont le droit d’accuser ceux qui jadis hurlèrent à la mort avec les loups. Qu’ils n’oublient pas toutefois qu’ils possédaient sur nous l’avantage immense d’avoir un système politique cohérent, susceptible de remplacer le stalinisme, et auquel ils pouvaient se raccrocher dans la détresse profonde de la Révolution Trahie. Eux n’ « avouaient » pas, car ils savaient que leurs aveux ne servaient ni le parti ni le socialisme. »6

Cette déclaration est loin d’être anecdotique de la part de quelqu’un qui a commencé à travailler pour les services secrets russes à la fin des années 30. Si la lutte contre le fascisme n’a guère été préparée par Staline, ses services secrets avaient par contre été très actifs dans la répression des trotskystes. En février 1938, Léon Sedov, fils et soutien politique de Léon Trotsky, est assassiné à Paris. Un agent russe était actif dans son entourage immédiat : Mark Zborowski, alias Étienne. Les services secrets russes avaient procédé auparavant au vol des archives de Trotsky et Sedov à Paris.7 Des collaborateurs de Trotsky comme Erwin Wolf et Rudolf Klement ont été tués par les staliniens en 1937-38. Trotsky lui-même a été assassiné par un agent de Staline au Mexique en 1940. Ceux qui ont menacé de quitter l’appareil stalinien ont subi le même sort que Sedov ou Trotsky. Ignace Reiss, par exemple, a démissionné de son poste d’agent secret russe et a annoncé qu’il allait rejoindre Trotsky. Sa lettre au Comité central du PC russe est datée du 17 juillet 1937. Le 4 septembre 1937, il fut assassiné à Lausanne, en Suisse, avant de partir pour Reims, en France, où il avait convenu de rencontrer son vieux camarade Henk Sneevliet.

La remarque de Trepper sur les trotskystes contient un élément important pour comprendre le courage de l’Orchestre Rouge : une perspicacité politique reposant sur la nécessité. Cela a donné aux membres du réseau un énorme avantage auquel ils se sont accrochés, même si leurs voix n’étaient pas toujours entendues à Moscou.

Les femmes en première ligne

Sophia Poznanska était une figure clé de la section bruxelloise de l’Orchestre Rouge. Elle avait rompu avec son milieu sioniste de gauche de l’Hashomer Hatzair pour rejoindre le parti communiste en Palestine en 1927. Elle habitait au 101 rue Atrebaten à Etterbeek, le centre de l’Orchestre Rouge. Après avoir été arrêtée lors de la rafle de la rue Atrebates en décembre 1941, elle s’est suicidée en septembre 1942 à la prison de Saint-Gilles pour s’assurer qu’elle ne révélerait aucun secret aux nazis. Sophia Poznanska n’était certainement pas la seule figure féminine forte de l’Orchestre rouge.

Il y a notamment eu Vera Akkerman, qui était partie en Espagne avec ses sœurs comme volontaire dans la lutte contre le fascisme. Elle était issue d’une famille juive ayant fui les violences antisémites en Pologne. De Chrzanów, en Galice occidentale, à peine à 20 kilomètres d’Osewiecin (plus connu sous le nom d’Auschwitz), la famille a déménagé à Anvers où ils ont vécu près de la Dageraadplaats. À Anvers, Vera et ses sœurs ont troqué leur passé sioniste pour le communisme. Rachel Luftig, la sœur de Vera qui a survécu à la guerre, a déclaré plus tard dans une interview : « À Anvers, un monde entier s’est ouvert à nous. C’est là que nous sommes devenus de gauche. En Pologne, ma sœur Vera et moi étions déjà membres du Poale Tsion, les travailleurs de Sion. Mais le Poale Tsion d’Anvers était beaucoup plus à gauche que celui de Pologne. Nous sommes également devenus membres de la Kulturfarein où nous pratiquions le marxisme. Nous étions des révolutionnaires. En fait, là, c’était beaucoup plus ‘Poale’ que ‘Tsion’. » 8 Le Kulturfarein, abrégé de Yidisher Arbeter Kultur Fareyn (Association culturelle des travailleurs juifs), était un club de jeunes militants juifs pour la plupart. À partir de 1931, le Kulturfarein a eu son propre bâtiment dans la Lange Kievitstraat 161.9 Sous un grand portrait de Lénine, le Kulturfarein accueillait non seulement des activités culturelles, mais aussi des conférences et des activités politiques clairement orientées vers la gauche radicale.

C’est dans ces cercles que Vera Luftig a rencontré son mari Emiel Akkerman et son jeune frère Piet. Les deux frères ont également rompu avec le sionisme de l’Hashomer Hatzair pour devenir des communistes convaincus et des dirigeants syndicaux dans le secteur du diamant. Ils ont joué un rôle actif dans l’expansion la grève générale de 1936 après l’assassinat des militants Pot et Gryp, le mouvement de grève qui a imposé, entre autres, les congés payés pour tous les travailleurs de notre pays. Piet et Emiel Akkerman se sont heurtés à la direction conservatrice des syndicats sociaux-démocrates, mais ils bénéficiaient d’un large soutien parmi les travailleurs. Vers la fin de 1936, ils sont partis en Espagne pour combattre Franco où ils ont trouvé la mort.

Vera Akkerman a refusé l’offre d’emploi du syndicat général des travailleurs du diamant (ADB) et est partie pour l’Espagne en avril 1937 avec Lya Berger (la compagne de Piet Akkerman), ses sœurs Rachel et Golda et d’autres volontaires juifs d’Anvers et de Bruxelles.10 Ils sont partis de Bruxelles, où ils s’étaient réunis dans l’appartement d’Isidoor Springer, qui allait plus tard introduire Vera dans l’Orchestre Rouge. Partir en Espagne n’était pas facile pour les femmes. Le parti communiste n’envoyait pas de femmes et il n’est pas question non plus de combattre au front. Cela ne leur avait été possible que dans la première phase ascendante de la révolution espagnole. « Après les mois d’euphorie révolutionnaire de l’été 1936, les femmes se retrouvent à nouveau dans les coulisses du champ de bataille », remarque Sven Tuytens.11

Les femmes se sont retrouvées dans un hôpital, où elles ont soigné les blessés du front. À l’hôpital, elles ont défendu leurs jeunes collègues espagnoles et n’ont pas hésité à aller à l’encontre des règles hiérarchiques en vigueur, selon lesquelles les médecins étaient supérieurs (ou du moins le pensaient-ils) et se croyaient tout permis envers les jeunes femmes. Pour son livre ‘Las mamas belgas’, Sven Tuytens s’est entretenu avec la dernière infirmière survivante de l’hôpital où travaillait Vera Akkerman : « Vera était la chef et aussi celle qui était la mieux habillée. Elle parlait aux médecins comme s’ils étaient des collègues. C’est quelque chose que nous – les infirmières auxiliaires locales – n’avons jamais fait. J’avais à peine quinze ans quand j’ai commencé à travailler dans l’une des trois salles d’opération. Vera m’avait pris sous sa protection et est venue me rendre visite à la maison. » 12

Vera Akkerman a décrit ses fortes convictions antifascistes dans une lettre adressée au journal du Parti Communiste ‘Het Vlaamsche Volk’ en décembre 1937. Après une garde de nuit au cours de laquelle le fils d’un jeune paysan espagnol avait agonisé, elle écrit : « Depuis que j’ai compris la lutte des classes, les questions sociales et politiques, je suis antifasciste. Depuis que la guerre fait rage en Espagne […], j’ai appris à combattre encore plus le fascisme. Je sais aussi qu’une balle fasciste italienne a pris la vie de mon très cher mari. Une raison suffisante pour haïr le fascisme ! Mais en voyant et en ressentant concrètement ce que font les fascistes, c’est ce que j’ai fait pendant ce service de nuit. » 13

Vera a joué un rôle important dans l’Orchestre Rouge et, après son démantèlement en 1942, elle a pu fuir à Royat, en France, où elle a survécu à la guerre.14 Sa sœur Golda a été arrêtée par la police de la ville d’Anvers en 1942 et est morte à Auschwitz. Son autre sœur Rachel a été arrêtée en 1944 en tant que coursière et a survécu au camp de Ravensbrück.

L’origine juive

Ce n’est pas un hasard si des militants d’origine juive ont joué un rôle important dans l’Orchestre Rouge. La montée du fascisme, mais plus généralement l’échec du capitalisme à apporter une réponse à la question juive, a ouvert la voie à la radicalisation. Nombre d’entre eux sont issus du mouvement de jeunesse Hashomer Hatzair, qui combinait sionisme et socialisme ou, plus exactement, utilisait une rhétorique socialiste tout en subordonnant le changement social à l’objectif premier de la création d’un État juif. Trepper lui-même décrit comment il s’est rendu en Palestine en 1924, mais y a découvert que la bourgeoisie sioniste « voulait perpétuer des rapports sociaux que nous désirions abolir. »15 La lutte des classes a transformé Trepper, Piet et Emiel Akkerman, leurs épouses Lya et Vera, Isidoor « Sabor » Springer, Sophia Poznanska et d’autres en communistes.

Seuls quelques-uns sont allés creuser plus profondément. L’un d’eux était Abraham Wajnsztok, alias Abraham Léon. Né en Pologne en 1918, il est arrivé en Belgique avec ses parents en 1928 et y a rejoint l’Hashomer Hatzair, sans toutefois y trouver de réponses satisfaisantes concernant les contrastes entre riches et pauvres. Pendant la grève générale de 1936, il est entré en contact avec les luttes des mineurs de Charleroi et de la région du Borinage, où le Parti socialiste révolutionnaire (PSR) de Léon Lesoil et Walter Dauge, trotskiste, disposait de nombreux partisans. En 1937, Abraham Léon s’est installé dans un kibboutz en Palestine, mais il a rejeté l’idée d’une unité de classe pour la cause juive. Il s’est alors lancé dans l’étude de la question juive afin d’étayer de réflexions son intuition première.

Il a trouvé le fondement de sa démarche chez Marx, qui déclarait que le phénomène originel de la survie de la religion du peuple juif doit être recherché dans la vie sociale des Juifs. Marx disait : « Le judaïsme s’est conservé, non pas malgré l’histoire, mais par l’histoire. »16 Dans son livre intitulé ‘La conception matérialiste de la question juive’, Abraham Léon a fait valoir que, sous l’effet de la montée du capitalisme, le judaïsme avait le choix entre l’isolement et la persécution. Il y a eu une forte émigration, notamment vers les États-Unis, et en même temps une plus grande assimilation. Ce phénomène était plus limité dans les secteurs spécifiques dominés par les Juifs. Il décrit les Juifs comme un peuple-classe, qui se maintient en tant que classe sociale et conserve ainsi ses caractéristiques religieuses, ethniques et linguistiques. En d’autres termes, le « type juif » n’était pas tant un fait racial que le résultat d’une sélection économique et sociale. La montée de l’antisémitisme en Europe centrale et orientale y est étroitement liée : le déclin du capitalisme faisant des commerçants juifs une cible de la haine des paysans et de tous les exclus. En Europe occidentale, cela a également entraîné une croissance de l’antisémitisme : contre les artisans juifs ainsi que contre le capital spéculatif aux mains de capitalistes juifs. Le sionisme n’a offert aucune réponse, observait Abraham Léon. « Les conditions de la décadence du capitalisme qui ont posé d’une façon si aiguë la question juive, rendent aussi impossible sa solution par la voie sioniste. Et il n’y a rien d’étonnant à cela. On ne peut supprimer un mal sans en détruire les causes. Or, le sionisme veut résoudre la question juive sans détruire le capitalisme qui est la source principale des souffrances des Juifs. »17

Abraham Léon est devenu l’un des principaux dirigeants du Parti socialiste révolutionnaire, rebaptisé Parti communiste révolutionnaire (PCR) pendant la guerre. Le PCR était particulièrement fort dans la région de Charleroi, notamment chez les mineurs.18 C’est au cours du développement d’une structure clandestine du PCR et dans la résistance contre l’occupant nazi qu’Abraham Léon a pris le temps de coucher par écrit ses conclusions au sujet de la question juive. À la veille de la libération, Abraham Léon a été pris suite à une simple négligence: une fenêtre de la maison où il se trouvait n’avait pas été correctement scotchée et la lumière a attiré l’attention d’un contrôle allemand. Une tentative de le libérer en le faisant sortir clandestinement de la prison habillé en soldat allemand avec un geôlier socialiste a échoué parce qu’il avait été trop violemment battu lors d’un interrogatoire par la Gestapo et qu’avec ses deux yeux bleus, il pouvait difficilement passer pour un soldat allemand. Après avoir été torturé, Abraham Léon a été transféré à la caserne de Dossin et finalement à Auschwitz, où il a été gazé. 19

Les membres de l’Orchestre Rouge d’origine juive n’ont pas fait la même analyse matérialiste et historique approfondie du judaïsme qu’Abram Leon, mais avaient toutefois trouvé dans la lutte des classes une alternative à leurs illusions brisées envers le sionisme. Dans le même temps, leur origine juive allait jouer un rôle en attisant à plusieurs reprises les flammes de l’antifascisme.

Le courage de l’Orchestre Rouge

L’Orchestre Rouge était une entreprise impressionnante. Trepper a reçu le feu vert pour cette opération du général Berzin, qui avait été actif en Espagne et était convaincu de l’imminence d’une guerre entre la Russie et l’Allemagne. Berzin a observé avec consternation l’élimination des généraux soviétiques les plus compétents lors des purges qui ont frappé la Russie. En mars 1937, par exemple, Toukhatchevski et plusieurs officiers supérieurs de l’armée ont été arrêtés car ils étaient soupçonnés de collaborer avec l’Allemagne nazie. Berzin subira le même sort à peine un an plus tard : arrestation et exécution. La ligne officielle du parti en 1937 était de ne pas causer trop de problèmes en Allemagne. Staline pensait qu’un accord sincère avec Hitler était possible et qu’il n’attaquerait que sur le front occidental. Trepper, comme Berzin, avait mieux anticipé les choses et ils avaient saisi l’ouverture offerte.

Pourquoi un tel engagement alors que ses doutes étaient déjà conséquents au sujet du régime stalinien ? Trepper a écrit dans son autobiographie : « Entre le marteau hitlérien et l’enclume stalinienne, la voie était étroite pour nous qui croyions toujours à la Révolution. (…) Citoyen polonais, Juif ayant vécu en Palestine, apatride, journaliste dans un quotidien juif, pour le NKVD [la police secrète], j’étais dix fois suspect. Mon destin était déjà tracé. Il s’achèverait au fond d’un cachot, dans un camp, au mieux contre un mur. Par contre, en combattant, loin de Moscou, au premier rang de la lutte antinazie, je pouvais continuer d’être ce que j’avais toujours été : un militant révolutionnaire. »20

Avec un minimum de ressources, la société ‘The Foreign Excellent Trench-Coat’ est créée, liée à la société ‘Au Roi du Caoutchouc’ dans laquelle Leo Grossvogel, partisan de Trepper, était actif. L’idée d’une société d’exportation et d’importation était évidemment pertinente : quelle meilleure excuse pour aller dans différents pays et disposer de sources partout ? La société a bien marché et tout le monde ne savait pas qu’elle servait également de couverture pour la collecte et la transmission d’informations. À partir de 1939, les premiers renforts sont arrivés avec deux agents soviétiques qui se sont fait passer pour des Uruguayens. Le pacte Hitler-Staline d’août 1939 a mis le projet sous pression, mais Trepper et Grossvogel ont persévéré. En 1940, l’Orchestre prend son envol, Trepper et Grossvogel travaillant depuis Paris.

Fin décembre 1940, Moscou est prévenu qu’Hitler prépare une attaque en Russie. L’opération Barbarossa a été révélée par l’agent soviétique Richard Sorge au Japon, par le groupe Schulze-Boysen en Allemagne et par des données précises de l’Orchestre Rouge à Paris concernant le nombre de divisions allemandes retirées de Belgique et de France dans la perspective de la guerre avec la Russie. Roosevelt avait aussi partagé les informations recueillies par ses services secrets avec les Russes. Mais Staline n’y a accordé aucun crédit. « Qui ferme les yeux, fût-ce en pleine lumière, ne verra jamais rien », remarquait Trepper.21 L’erreur de Staline a causé des millions de morts supplémentaires.

L’Orchestre Rouge a joué un rôle important en relayant des informations sur la production d’armes et les stratégies militaires allemandes. Lorsque Hitler a réuni ses généraux pour discuter du siège de Moscou, le sténographe était membre de l’Orchestre Rouge, plus précisément du groupe Schulze-Boysen. Chaque mouvement de l’armée allemande était immédiatement connu de Moscou, qui pouvait organiser la contre-offensive. C’est de cette façon qu’a été préparée la bataille décisive de Stalingrad.

Bien sûr, ce ne sont pas les espions qui ont gagné la guerre, mais leur contribution a été importante. L’acharnement avec lequel les nazis ont pourchassé l’Orchestre Rouge a démontré à quel point le réseau leur a fait mal. En décembre 1941, le réseau bruxellois fut démantelé et, en novembre 1942, Trepper fut arrêté. La Gestapo a tenté de faire de Trepper un agent double, ce qui lui a laissé une certaine marge de manœuvre pour lui permettre de s’échapper en 1943. Des militants comme Sophie Poznanska et Isidor Springer se sont suicidés en prison pour éviter de divulguer des informations. D’autres, en revanche, ont été brisés : Efremov a craqué et Kent a rejoint les nazis.

Un obstacle important au fonctionnement de l’Orchestre Rouge était l’attitude étouffante de la bureaucratie stalinienne à Moscou. Cela a entraîné une sous-utilisation d’informations cruciales, une négligence dans la communication avec les agents et, après la guerre, cela a même conduit à l’arrestation et à la poursuite en justice de Leopold Trepper en Union soviétique. Cela aussi fait partie des terribles crimes du stalinisme. Les révolutionnaires sincères qui ont survécu à la persécution ont souvent été brisés.22 Trepper a conservé ses convictions socialistes. Son autobiographie se termine comme suit : « Je sais que la jeunesse réussira là où nous avons échoué, que le socialisme triomphera, et qu’il n’aura pas la couleur des chars russes écrasant Prague. » Cependant, Trepper n’a pas fait une analyse détaillée de la manière dont le stalinisme a pu se développer et de ce quoi il s’agissait exactement, et encore moins de ce qu’était une alternative à celui-ci.

Stalinisme : la révolution trahie

Les historiens bourgeois limitent souvent leur explication du stalinisme à un duel entre Trotsky et Staline pour la succession de Lénine, suggérant que les bases du stalinisme avaient déjà été posées sous Lénine. Le stalinisme, cependant, a marqué une rupture avec la Révolution d’Octobre ; c’était une contre-révolution politique. Le développement bureaucratique, avec Staline à sa tête, n’a été possible qu’en raison de l’échec de la révolution mondiale et de l’isolement de l’Union soviétique qui l’a accompagné. Si l’on ajoute à cela les conséquences d’une guerre civile dévastatrice dans un pays auparavant largement sous-développé et arriéré, il était extrêmement difficile de porter rapidement et significativement les forces productives à un niveau supérieur. Trotsky s’est référé à Marx à cet égard : « Le développement des forces productives est pratiquement la condition première absolument nécessaire [du socialisme] pour cette raison encore que l’on socialiserait sans lui l’indigence et que l’indigence ferait recommencer la lutte pour le nécessaire et par conséquent ressusciter tout le vieux fatras. » Tout le ‘vieux fatras’ a effectivement ressurgi en Union soviétique.

Staline n’était que l’expression politique de la dégénérescence de la révolution. Comme l’a noté Léon Trotsky dans son analyse du stalinisme, « Il serait naïf de croire que Staline, inconnu des masses, sortit tout à coup des coulisses armé d’un plan stratégique tout fait. Non. Avant qu’il n’ait lui-même entrevu sa voie, la bureaucratie l’avait choisi. Il lui donnait toutes les garanties désirables: le prestige d’un vieux-bolchevik, un caractère ferme, un esprit étroit, une liaison indissoluble avec les bureaux, seule source de son influence personnelle. (…) Figure de second plan pour les masses et la révolution, Staline se révéla le chef incontesté de la bureaucratie thermidorienne, le premier d’entre les thermidoriens. »23

L’économie planifiée s’est poursuivie, mais dominée par une caste bureaucratique à son sommet. Toutes les conquêtes sociales, de l’engagement démocratique à l’explosion de la créativité en passant par les droits des femmes, ont été brisées. Une petite couche supérieure a aligné de plus en plus de privilèges et y a fait correspondre sa politique. L’internationalisme a cédé place à la théorie du « socialisme dans un seul pays ». La politique étrangère servait les intérêts de la caste bureaucratique autour de Staline à Moscou. Si des informations importantes de l’Orchestre Rouge ont été négligées, ce n’est pas seulement dû aux tâtonnements des bureaucrates, dont l’incompétence avait été accrue par les purges. C’était le résultat d’une politique qui n’avait pas pour but de s’orienter vers des mouvements révolutionnaires partout dans le monde pour mettre fin au capitalisme. Staline est passé des illusions pacifistes avec les nazis à une division du monde reposant sur des accords avec l’impérialisme occidental. Ces positions contradictoires avaient une constante : un manque de confiance dans la classe ouvrière et ses alliés parmi les masses opprimées pour mettre fin au capitalisme par la lutte révolutionnaire. Plus précisément, les privilèges de la bureaucratie stalinienne en Russie étaient diamétralement opposés à la lutte révolutionnaire. En effet, l’expansion de la révolution mettrait immédiatement à l’ordre du jour la nécessité d’une démocratie ouvrière et, avec elle, la question d’une révolution politique en Union soviétique.

En Union soviétique même, le règne de la caste bureaucratique était imposé par la répression la plus brutale. Cela a été couplé à une rhétorique grotesque sur le socialisme, une expression déformée de l’énorme autorité politique de la Révolution d’Octobre et du soutien durable dont jouissait la politique bolchevique originale. L’Union soviétique avait de plus en plus de similitudes avec une dictature policière.

Les purges du milieu des années 1930 ont été menées avec des lignes directrices et des objectifs. En 1937, par exemple, il y a eu une directive visant à arrêter un quart de million de personnes, à en condamner 72.000 et à fusiller 10.000 prisonniers dans les camps.24 Vadim Z Rogovin cite un bureaucrate : « Un soir, nous traitions jusqu’à 500 affaires, nous jugions les gens au rythme de plusieurs affaires par minute, avec des décisions de fusiller certains, d’emprisonner d’autres… Nous étions incapables de lire les accusations, sans parler des pièces des dossiers. » Lors de la deuxième opération de masse, en 1938, un grand nombre de personnes d’autres nationalités ont été poursuivies, notamment des Polonais, des Finlandais, des Lettons, des Estoniens et des Lituaniens. Des mesures particulières ont été prises contre les communistes de ces pays. Il ne s’agissait pas d’une politique aléatoire : dans certains cas, il s’agissait d’un calcul, dans d’autres, d’une préparation à la trahison qui allait suivre. En ce qui concerne les communistes polonais, il s’agissait des deux éléments. La répression visait à s’en prendre au large soutien dont bénéficiait l’opposition de gauche au sein du parti polonais et, en même temps, à ouvrir la voie au pacte Hitler-Staline et la division de la Pologne entre les deux puissances. Dix des 16 membres du premier comité central du parti communiste hongrois ont été assassinés, de même que 11 des 20 commissaires du peuple de l’éphémère République soviétique hongroise de 1919. M. Rogovin a noté que davantage de communistes d’Europe de l’Est ont été assassinés en Union soviétique que dans leur propre pays pendant l’occupation nazie.

La propagande établie tente de faire remonter cette répression aux premières années du régime soviétique, ce que les chiffres contredisent. En 1923, alors que la majeure partie du pays sortait à peine de la guerre civile, l’Union soviétique comptait un peu moins de 80.000 prisonniers, dont environ 4.000 étaient des prisonniers politiques poursuivis pour crimes de guerre, pogroms, etc. Le nombre de prisonniers politiques a commencé à augmenter de manière significative à partir de 1926. Les prisonniers ne sont plus issus des milieux réactionnaires, mais sont des partisans de la révolution. Ce n’est que lorsque le régime stalinien a intensifié la répression politique que le nombre de prisonniers a fortement augmenté : de 175.000 en 1930 à 1.660.000 en 1940. Trotsky a décrit cette situation comme une « guerre civile unilatérale ». Au total, plus d’un million de membres du parti ont été raflés et au moins la moitié d’entre eux ont été tués.25 La génération de la révolution a été humiliée et écrasée. La peur des masses était plus grande que tout pour Staline et il a mobilisé tout l’appareil pour les contrôler.

Partition pour les orchestres antifascistes d’aujourd’hui

Les militants n’étudient pas les événements de jadis par simple intérêt historique pour leurs prédécesseurs. Ils le font aussi pour en tirer les leçons pour aujourd’hui. Bien sûr, nous sommes dans une situation différente et la lutte antifasciste d’aujourd’hui exige des méthodes différentes de l’espionnage et des autres formes de résistance sous la dictature et l’occupation nazies. En même temps, nous pouvons nous inspirer des éléments les plus forts de la partition de l’Orchestre Rouge qui n’ont rien perdu de leur actualité.

Comme nous l’avons souligné plus haut, l’une des caractéristiques les plus puissantes de la plupart des militants de l’Orchestre Rouge était leur conviction politique et leur ferme détermination dans la nécessité et la possibilité de parvenir à une société différente, une société socialiste où les ressources et les richesses disponibles seraient utilisées pour servir les intérêts de la majorité de la population. À cette motivation s’ajoutait une rage contre les campagnes de haine antisémite qui ont finalement envoyé six millions de Juifs à la mort. Quiconque ne ressent pas de colère ou d’indignation à l’égard du nazisme est gravement aliéné de son humanité. La colère, cependant, doit être soutenue par des analyses pour que l’engagement soit maintenu, même dans les moments les plus difficiles. C’est là qu’intervient l’importance d’un programme et d’une alternative de société. Une alternative renforce les mobilisations car elle génère l’enthousiasme et donne une direction à la lutte.

En Flandre, par exemple, l’extrême droite est particulièrement forte aujourd’hui. Lors des premières percées électorales du Vlaams Blok à la fin des années 1980 et au début des années 1990, leur participation au gouvernement était hors de question. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour cela : après les élections de 2019, Bart De Wever a officiellement reçu son collègue président du parti Vlaams Belang, Tom Van Grieken, dans le cadre des négociations pour former un gouvernement flamand. Ils n’ont pas formé de gouvernement, mais comme le VB et la N-VA ont obtenu ensemble 40 % des voix, la N-VA veut garder toutes les options ouvertes, surtout en vue des élections de 2024. Là où l’extrême droite comme le Vlaams Belang et les populistes de droite comme la N-VA sont forts, ils tentent de dominer le débat public. Cela a évidemment un impact sur les discussions sur les lieux de travail ou entre proches. De nombreux arguments de droite, y compris contre les migrants, sont facilement repris dans celles-ci.

Mais il est possible de renverser le débat en revenant sur les revendications sociales concrètes nécessaires pour la majorité de la population. Le plan d’action des syndicats de fin 2014, lors de l’arrivée au pouvoir du gouvernement de droite Michel, a montré comment le débat public pouvait être tourné vers les intérêts du mouvement ouvrier. Ajoutons à cela le vote pour le PTB/PVDA plus fort aujourd’hui, cela peut avoir un impact encore plus grand. Cela ne pourra se faire qu’en construisant une relation de force par la lutte. Aucun acquis social n’a été obtenu sur base de la division : c’est la lutte unitaire de tous les opprimés qui nous a apporté des choses comme la sécurité sociale, les congés payés, l’indexation des salaires, la protection au travail, etc. Pour ce faire, nous avons toujours défendu nos intérêts de manière audacieuse et active ; il ne suffit pas de demander gentiment. Des divisions ont toujours été un obstacle dans la lutte pour les acquis sociaux. Pour cette seule raison, la lutte active contre l’extrême droite et toutes les formes de division est importante pour le mouvement ouvrier.

Le soutien à l’extrême droite est l’expression d’une méfiance et d’une opposition à l’establishment et à ses politiques, qui conduisent à une inégalité croissante. Il n’y a pas de soutien actif à une politique d’extrême-droite consistant en des mesures néolibérales sévères associées à un régime autoritaire. Il est donc nécessaire pour les politiciens d’extrême droite de stimuler la haine et les préjugés à l’égard des réfugiés ou de souligner l’hypocrisie et les limites des politiciens établis. Ce faisant, ils peuvent marquer des points, mais avec leur propre programme antisocial, c’est beaucoup plus difficile. La constitution d’une base de masse active n’est donc pas évidente pour eux dans cette situation. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de tentatives de construire une base plus militante. Lorsque l’extrême droite obtient de bons résultats électoraux, cela entraîne souvent une augmentation des incidents et de la violence, notamment à l’encontre des migrants, mais aussi des antifascistes et du mouvement ouvrier en général. La faiblesse incite à l’agression : la réponse du mouvement ouvrier doit donc être aussi forte que possible.

Un système en crise crée un espace pour la croissance de l’extrême droite. La mobilisation de masse est la meilleure réponse pour empêcher l’extrême droite de dominer les rues. Si l’extrême droite réussit, c’est pour briser les opposants et le mouvement ouvrier en particulier. Dans notre mobilisation, nous ne pouvons pas compter sur l’establishment ou l’État. Nous devons organiser les travailleurs et les jeunes et utiliser notre force collective. Cela ne suffira pas à stopper l’extrême droite : par nos actions, nous devons offrir une alternative au capitalisme, afin que la méfiance et la haine justifiées vis-à-vis le capitalisme ne puissent pas être détournées par les forces réactionnaires de droite. La seule solution à long terme est de mettre un terme à ce système insensé.

La classe ouvrière est la force qui peut renverser le capitalisme et commencer à construire une société socialiste. En effet, la classe ouvrière occupe une place essentielle dans le processus de production : sans notre travail, le capital des patrons ne vaut rien. Notre force de travail et la nature sont les sources de toute valeur. Toutes deux sont minées par le capitalisme.

Pour renverser le capitalisme, il faut l’unité de la classe ouvrière et de tous les opprimés. Tout ce qui nous divise nous affaiblit. D’où l’importance de lutter contre le racisme, le sexisme, l’homophobie et les autres formes de division. La meilleure façon de forger l’unité est de souligner clairement les intérêts communs et de formuler des revendications qui sont généralement considérées comme nécessaires : de bons emplois avec des salaires décents, une réduction collective du temps de travail sans perte de salaire afin de réduire la pression du travail et de répartir le travail disponible, des logements abordables, un nombre suffisant de services publics bien développés comme les soins de santé et l’éducation, des allocations sociales viables, etc. On comprend vite qui est responsable des pénuries et qui ne l’est pas : ce ne sont pas les réfugiés qui provoquent des bains de sang sociaux, mais les actionnaires qui veulent toujours augmenter leurs comptes bancaires dans les paradis fiscaux.

Malgré la nature modeste de ces revendications, elles ne peuvent être réalisées (ou du moins pas de manière durable) sous le capitalisme. Elles représentent une transition, un pont vers la nécessité d’un changement social et d’une société socialiste où les ressources et les richesses disponibles seront utilisées de manière démocratique et planifiée.

Les possibilités technologiques sont aujourd’hui énormes, et pourtant, pour la majorité de la population, les pénuries sont de plus en plus nombreuses. L’extrême droite réagit à cela, non pas pour s’opposer à la petite couche supérieure des grands capitalistes, mais pour donner un coup de pied vers le bas. Ce faisant, elle se place dans la logique du système et défend les intérêts des super-riches. Le danger de l’extrême droite est réel, même si une dictature fasciste n’est pas immédiatement à l’ordre du jour. Le désespoir contre-révolutionnaire de l’extrême droite ne peut devenir une plus grande force de masse que si l’espoir révolutionnaire subit de graves défaites. Dans le contexte d’une classe ouvrière de plus en plus à l’offensive dans le monde entier, les antifascistes peuvent aujourd’hui être optimistes. Cela ne change rien au fait que chaque pas de l’extrême droite doit être activement combattu afin qu’il n’y ait pas de place pour ce désespoir contre-révolutionnaire. Nous serons plus forts dans cette lutte grâce à l’inspiration d’exemples antifascistes tels que Sophia Poznanska, Vera Akkerman, Leopold Trepper et les autres héros de l’Orchestre Rouge.

Notes :

1 Par exemple, Kent, l’un des principaux personnages de la branche bruxelloise de l’Orchestre rouge, a écrit son histoire en 1995 dans le livre « Un certain monsieur Kent », sous son véritable nom : Anatoli Gourévitch. C’est à peine si le contexte politique joue un rôle dans son récit ; on n’y trouve pas non plus de trace de ses propres convictions politiques. La controverse entourant la trahison qui lui est attribuée n’est d’ailleurs pas réfutée de manière convaincante, un écran de fumée est dressé pour dissimuler celle-ci.

2 Antony Beevor, The Second World War

3 La « troisième période » fait référence à la période de dépression économique qui a suivi le crash de 1929. La « première période » de mouvements révolutionnaires immédiatement après la Première Guerre mondiale a été suivie, à partir de 1924 environ, d’une « deuxième période » de stabilisation capitaliste et de déclin des possibilités révolutionnaires. Au début des années 1930, selon les staliniens, la « troisième période » avait commencé, celle d’une lutte finale pour la mort du capitalisme dans laquelle les communistes devaient émerger comme la seule force capable de mettre fin au capitalisme. Non seulement les dirigeants sociaux-démocrates, mais aussi les travailleurs sociaux-démocrates ont été qualifiés de sociaux-fascistes : un obstacle sur la route du communisme.

4 Dans son livre « La véritable histoire de l’orchestre rouge » (2015), Guillaume Bourgeois joue sur les faiblesses du réseau pour atténuer l’héroïsme de ses pionniers, en particulier Trepper. Il combine cela avec une lecture des faits basée sur le récit de Kent. Il en profite pour mettre Kent et Trepper sur un pied d’égalité et donc pour présenter Trepper comme un traître. Son livre souffre de la même maladie que celui de Kent : le contexte politique a été absorbé par le décor sans jouer aucun rôle, permettant de pulvériser suffisamment de brouillard dans lequel se perd la véritable histoire de l’orchestre rouge.

5 Sven Tuytens, ‘Las mamas belgas’, Editions Lannoo, 2017, p.18

6 Léopold Trepper, ‘Le Grand Jeu’, Editions Albin Michel, 1975, p. 64

7 Voir : ‘Les cahiers Léon Trotsky’ n°13, Numéro Spécial : Leon Sedov (1906-1938)

8 Cité dans Sven Tuytens, ‘Vrijwilligsters uit België’, Brood en Rozen 2016/2, p. 35

9 Rudi Van Doorslaer, ‘Kinderen van het getto. Joodse revolutionairen in België (1925-1940)’, Hadewijch/Amsab, 1995, p. 47

10 Voir: Rudi Van Doorslaer, ‘Kinderen van het getto. Joodse revolutionairen in België (1925-1940)’. Sven Tuytens et Rudi Van Doorslaer, ‘Israël Piet Akkerman. Van Antwerpse vakbondsleider tot Spanjestrijder’.

11 Sven Tuytens, ‘Las mamas belgas’, p. 83

12 Sven Tuytens, ‘Las mamas belgas’, p. 31

13 Cité dans Sven Tuytens, ‘Vrijwilligsters uit België’, Brood en Rozen 2016/2, p. 51

14 On ne sait presque rien de sa vie après la guerre. Dans ‘Las mamas belgas’, Sven Tuytens écrit : « Il est étrange que Vera, l’une des survivantes du réseau et une proche collaboratrice de Leopold Trepper, ait disparu dans l’anonymat après la Seconde Guerre mondiale. Et pourquoi Rachela n’a-t-elle pas parlé d’elle lorsque Rudi Van Doorslaer a interviewé la sœur de Vera à Paris en 1986 ? Vera a-t-elle continué à travailler pour les services de renseignement soviétiques pendant les années de guerre froide ? A-t-elle été approchée par les services d’espionnage occidentaux ? »

15 Leopold Trepper, ‘Le Grand Jeu’, p.30

16 Karl Marx, La question juive (dans Oeuvres philosophiques, trad. J. Molitor, t. I, Paris, Costes, 1927), pp. 205 et 209.

17 Abraham Léon, ‘La conception matérialiste de la question juive’, Editions Marxisme.be, 2012, p 181

18 L’Opposition Communiste de Gauche (OCG), dirigée entre autres par Léon Lesoil, a joué un rôle actif et important dans la grève des mineurs de 1932. Pendant cette grève, Lesoil était le président du comité de grève de Charleroi. Pour en savoir plus sur ce mouvement de grève : Frans Driesen, ‘1932: mijnwerkers in opstand’, publié par Marxisme.be en 2020. Selon son secrétaire Jean Van Heijnoort, Léon Trotsky a toujours été positif à l’égard de l’OCG de Charleroi. « Les deux seuls groupes à propos desquels je l’ai entendu exprimer une admiration sans réserve sont celui de Charleroi, composé de mineurs, et celui de Minneapolis, aux Etats-Unis, formé de camionneurs. »

19 L’histoire de la fin d’Abraham Léon est couverte dans : Guy Van Sinoy, ‘Une révolutionnaire juive sous la terreur nazie : l’histoire de Claire Prowizur’, série d’articles publiés dans le mensuel Lutte Socialiste en mars et mai 2020.

20 Leopold Trepper, ‘Le Grand Jeu’, p. 90

21 Leopold Trepper, ‘Le Grand Jeu’, p. 125

22 Voir par exemple Joseph Berger, ‘Shipwreck of a generation’. Berger était secrétaire du parti communiste en Palestine et a perdu ses illusions dans les goulags de Russie. Par la suite, il a décrit dans un livre ses conversations dans les camps.

23 Léon Trotsky, ‘La Révolution Trahie’, chapitre 5 : Le thermidor soviétique

24 Vadim Z Rogovin, ‘Stalin’s Terror of 1937-1938: political genocide in the USSR’, 2009

25 George Martin Fellow Brown et Rob Jones, ‘Hoe de Linkse Oppositie zich verzette tegen het stalinisme’, https://nl.marxisme.be/2021/01/02/hoe-de-linkse-oppositie-zich-verzette-zich-tegen-het-stalinisme/

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