Expropriation des criminels climatiques & planification écologique
On connaît la situation: la crise climatique est là. Mais elle s’aggrave dramatiquement. Les 8 dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, avec des températures en 2022 de 1,15° Celsius au-dessus de la moyenne préindustrielle. Les trois dernières années, l’Inde, le Pakistan et l’Amérique centrale et du Sud ont tous été confrontés à des vagues de chaleur inhabituelles. Au Pakistan, elles ont été suivies par une inondation qui a touché plus de 33 millions de personnes, tandis qu’en Afrique de l’Est, la pire sécheresse de ces 40 dernières années provoque une famine alarmante.
Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition d’été de Lutte Socialiste
La crise climatique s’accélère et s’emballe partout, et c’est l’Europe qui constitue la région du monde qui se réchauffe le plus rapidement. L’an dernier, l’Europe se situait à environ 2,3°C au-dessus de la moyenne préindustrielle (1850-1900), selon l’Organisation météorologique mondiale. En Belgique, en France, en Allemagne, en Irlande, en Italie, au Luxembourg, au Portugal, en Espagne, en Suisse et au Royaume-Uni, l’année 2022 a été la plus chaude jamais enregistrée.
En conséquence, sécheresses intenses, violents incendies de forêt, et dizaines de milliers de victimes. D’après la base de données sur les situations d’urgence (EM-DAT), les événements météorologiques, hydrologiques et climatiques survenus en Europe l’an dernier ont affecté directement 156.000 personnes et causé 16.365 décès (quasi exclusivement en raison des vagues de chaleur). Les dommages économiques, en majorité liés à des inondations et des tempêtes, sont estimés au total à environ 2 milliards de dollars pour l’année 2022. C’est toutefois bien moins que les 50 milliards de l’année 2021 après les terribles inondations qui ont également frappé la Wallonie. Tout ça, c’est la norme dans laquelle nous nous enfonçons.
C’est le moment de faire une pause… à coups de matraques s’il le faut !
Calmons-nous les gars, on ne va tout de même pas fragiliser l’économie avec des restrictions insensées ! Ça pourrait n’être qu’une blague de mauvais goût, c’est la logique très sérieusement suivie par Macron en France, appuyée par le Premier ministre belge Alexander De Croo : mettre sur « pause » les normes climatiques. Plus de 60 % des terres agricoles européennes sont en mauvaise conditions, on perd nos abeilles et la biodiversité s’effondre mais, hé !, les actionnaires ont besoin d’encore plus de champagne ! En 2022, les plus grandes entreprises françaises (celles du CAC 40) ont versé à leurs actionnaires les deux tiers des profits réalisés en 2022 : 67,5 milliards d’euros, un record (Observatoire des Multinationales).
En guise d’autre doigt d’honneur à la planète et la population, le gouvernement français a annoncé fin juin la dissolution des Soulèvements de la terre (plateforme qui regroupe des centaines d’associations, collectifs et syndicats), exactement deux semaines après la journée du 8 juin, date où le pic de température était tel que pendant une journée, la moyenne des températures mondiales atteignait +1,51°C. Les activistes – qualifiés d’éco-terroristes par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin – avaient participé à une action contre le géant du ciment Lafarge. Toute l’ironie étant de qualifier de terroristes des militants qui s’en prennent aux actions d’une grande entreprise non seulement polluante, mais également condamnée en Justice pour avoir entretenu des relations commerciales avec Daesh, l’Etat islamique…
En Belgique, c’est la veille de cette date inquiétante que s’est ouvert le procès de 14 militants Greenpeace, jugés pour avoir occupé durant plusieurs heures le terminal gazier de Fluxys lors d’une action au port de Zeebrugge. Après avoir grimpé sur les quais de chargement de navires transportant du gaz naturel liquéfié, les activistes avaient escaladé un pylône pour y attacher une bannière avec pour message « Gas kills, Fluxys guilty » (le gaz tue, Fluxys coupable). Ils risquent jusqu’à un an de prison et jusqu’à 8.000 euros d’amende. Soit bien plus que les meurtriers de Sanda Dia… (voir en page 7).
Le durcissement de l’attitude des forces de l’ordre, de la justice et des décideurs politiques vis-à-vis des activistes environnementaux ne tombe pas du ciel. On connaissait le slogan « Fin du monde et fin du mois, même coupables, même combat ! », il s’est décliné en France sous la forme suivante : « Pas de retraités, sur une planète brûlée : retraites, climat, même combat ! » En Belgique, Code Rouge a également ciblé la multinationale Total Energie et a participé à divers rassemblements syndicaux pour engager un dialogue avec les syndicalistes.
Les dirigeants d’entreprises et actionnaires préféraient largement quand toute la discussion portait sur « l’empreinte écologique » de chacun et sur la consommation. C’était plus facile à ignorer, et la culpabilisation des individus permettait de détourner l’attention. Mais alors que le débat se déplace de plus en plus sur la production économique, et donc sur la responsabilité des détenteurs des moyens de production, l’appareil d’État entièrement acquis à ces derniers réagit pour défendre leurs intérêts.
Faire face à l’urgence climatique
A droite, on affirme que les mesures d’urgence pour le climat seraient instaurées sur le dos des conditions de vie de la population ordinaire, comme si les deux s’excluaient automatiquement. C’est en fait tout l’inverse. Voilà comment des mesures collectives peuvent réunir défense de la planète et nécessités sociales :
Affronter les catastrophes climatiques
- L’austérité budgétaire tue ! Investissements publics massifs dans les services d’incendie, d’aide à la population ainsi que dans les soins de santé : plus de moyens, plus de collègues, de bonnes conditions de travail et de meilleurs salaire !
- Ce n’est pas de projets de prestige dont nous avons besoin ! Non au « tout au béton » ! Il nous faut un plan public d’urbanisme et de gestion du territoire et des rivières pour faire face à la nouvelle norme des événements climatiques extrêmes et encaisser des chocs d’inondations et de chaleur de plus en plus fréquents. Ce plan doit être élaboré en toute transparence, avec implication des organisations syndicales et des associations de terrain.
- Les grandes entreprises du secteur de la construction doivent être expropriées et intégrées dans un service public de la construction démocratiquement géré.
- Le secteur des assurances doit être nationalisé pour assurer l’indemnisation de chaque personne sinistrée.
- Les bâtiments inoccupés pour raison spéculative doivent être de toute urgence expropriés et rénovés pour y loger les personnes sinistrées et chaque personne qui a besoin d’un toit.
Réduire dès demain les émissions de gaz à effet de serre
- Un plan public de rénovation et d’isolation des bâtiments doit être élaboré, quartier par quartier, pour drastiquement diminuer les émissions issues de l’énergie utilisée dans le bâti.
- Expropriation, nationalisation sous contrôle et gestion démocratique ainsi que reconversion des industries polluantes et non socialement utiles, avec garantie de revenu et amélioration des conditions de travail pour le personnel.
- Des investissements massifs pour des transports publics gratuits dans toutes les villes et pour assurer le plus possible de transport de marchandises par rail et voie fluviale. Interdiction des vols par jet privé.
- Des investissements publics massifs dans la recherche scientifique pour les énergies renouvelables et pour développer de nouvelles méthodes de gestion de matériaux pour l’isolation, etc. Abolition des brevets et fin de la propriété privée sur la connaissance.
- La nationalisation du secteur financier ainsi que l’abolition de la dette publique pour éviter le sabotage économique en réaction aux mesures d’urgence climatique et pour dégager les moyens nécessaires à une transition écologique socialement juste.
- Une planification démocratique socialiste de l’économie, à partir des besoins humains et dans le respect de la planète, pour en finir avec le gaspillage monumental de l’économie de marché basée sur la concurrence et le profit.
Ce type de programme donne de suite une idée du type de combat dont nous avons besoin pour le faire respecter. C’est grâce à l’action du mouvement ouvrier organisé que les premières mesures de protection de la santé et de l’environnement ont été acquises, et c’est cette voie qu’il convient de poursuivre. Quand les travailleurs s’arrêtent, tout s’arrête ! Ce dont nous avons besoin, c’est une lutte de masse qui recourt aux méthodes les plus efficaces de la lutte sociale comme la grève générale et les occupations d’entreprises. Si nous pouvons tout bloquer, nous pouvons aussi tout relancer, mais cette fois-ci en ayant balancé les actionnaires et autres patrons dans les oubliettes de l’histoire. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons commencer à réparer les dégâts écologiques pour le bien des générations futures.
Financement climat: quand l’aide aux pays pauvres aggrave leur soumission
L’abolition de la dette publique, une mesure pour le climat
Dans le cadre des accords de l’ONU sur le climat, les pays capitalistes développés s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an dès 2020 en financements climat pour les pays du monde néocolonial. Oxfam a décortiqué ce qu’il en était… Non seulement les aides réelles fournies sont bien inférieures aux données officielles mais, en plus, elle se présentent essentiellement sous la forme de dettes à rembourser !
Les bailleurs ont affirmé avoir mobilisé 83,3 milliards de dollars en 2020, chiffre obtenu par une surestimation systématique et par l’inclusion de projets qui n’ont rien à voir avec le climat. La valeur réelle des financements s’élève donc tout au plus à 24,5 milliards de dollars. Sur cette somme, seuls entre 9,5 milliards et 11,5 milliards de dollars ont servi à financer les efforts d’adaptation, c’est-à-dire à fournir des fonds indispensables pour les projets et les processus visant à aider les pays vulnérables sur le plan climatique à faire face à l’aggravation des effets néfastes du changement climatique.
Et comme la majeure partie ces fonds représentent des prêts et non des subventions, cela vient s’ajouter au « système dette » qui maintient les pays pauvres sous la poigne des premières puissances impérialistes, des grandes institutions financières et des fonds spéculatifs.
Parmi les bailleurs de fonds bilatéraux, la France dispense la part la plus élevée de son financement climat public bilatéral sous la forme de prêts, avec un pourcentage stupéfiant de 92 %. L’Autriche (71%), le Japon (90%) et l’Espagne (88%) font également partie des bailleurs qui usent lourdement des prêts. Durant l’exercice 2019-2020, 90% des financements climat fournis par des banques multilatérales de développement comme la Banque mondiale étaient des prêts!
Quant au financement privé, selon un récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il serait passé de 1,9 milliard de dollars en 2018 à 4,4 milliards de dollars en 2020. Mais cette hausse s’explique principalement par un grand projet énergétique de gaz naturel liquéfié au Mozambique qui n’a strictement rien à voir avec une activité d’adaptation.
Riposter à la crise climatique est naturellement une lutte internationale et, dans ce cadre, le mouvement écologiste doit défendre l’abolition pure et simple des dettes publiques, sans indemnité, sauf sur base de besoin privé (une personne retraitée dont les économies seraient utilisée par un fonds spéculatif, par exemple).
Chiffres – Oxfam : « 2023 : Les vrais chiffres des financements climat ».
De plus en plus de jets privés : les riches détruisent la planète
Ce n’est pas la crise pour tout le monde, ça c’est clair, mais nous ne sommes pas non plus logés à la même enseigne concernant la crise écologique. Les travailleurs et les jeunes n’ont rien à dire sur la manière dont les choses sont produites, mais les médias de masse font tout ce qu’ils peuvent pour les culpabiliser pour leur consommation, jamais assez responsable. Et si on regardait comment ça se passe parmi l’élite ?
Selon Greenpeace, le nombre de vols en jet privé en Europe a augmenté de 64 % l’an dernier (572.806 vols). Pour la première fois, la barre des 10.000 a été franchie en Belgique. La flotte mondiale de jets privés a augmenté de 133% sur les deux dernières décennies (Institute for Policy Studies). En 2022, il y a plus de jets privés dans le ciel que jamais dans l’histoire de l’humanité: 5,3 millions de vols.
Les propriétaires de ces avions de luxe ne représentent que 0,0008 % de la population mondiale, ils représentant 4% du marché mondial de l’avion, mais sont responsables de la moitié des émissions de gaz à effet de serre de l’aviation!
Une mesure immédiate à prendre est l’interdiction pure et simple des jets privés, parallèlement au développement massifs des transports sous toutes leurs formes.
Les idées socialistes expliquées : La rupture métabolique chez Marx et Engels
L’acceptation plus profonde du lien entre le système capitaliste et la destruction de notre environnement fait ressurgir l’apport de Marx et Engels sur cette question, symbolisée par le constat de Karl Marx: « Le Capital sape les deux sources d’où jaillit toute richesse: la terre et le travailleur. » Au centre de leur réflexion se trouve l’idée de la rupture ou faille métabolique.
Déjà à 23 ans, Engels, dans l’article Esquisse d’une critique de l’économie politique (1844), avait dénoncé l’exploitation impitoyable de la révolution industrielle, la misère, les épidémies mais aussi les luttes ouvrières prometteuses qu’il décrira en 1845 dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre. « Seule la fin de la propriété privée peut signifier la réconciliation de l’humanité avec la nature et avec elle-même », affirmait Engels.
A la même époque, Marx, dans ses Manuscrits de 1844, décrivait l’aliénation croissante sous le capitalisme entre les travailleurs et les résultats de la production d’une part, et entre l’humanité et la nature d’autre part. Pour lui, la tâche du communisme était de restaurer à un niveau supérieur une unité complète et rationnellement régulée entre l’être humain et la nature.
Dans la Dialectique de la nature (1883), Engels affirmait que la dernière différence essentielle entre les animaux et les êtres humains est que ces derniers peuvent contrôler la nature et la mettre au service de leurs objectifs. Mais il avertissait d’emblée: «Cependant ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. (…) les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement.»
La conclusion d’Engels était que pour mener à bien cette régulation de notre relation avec la nature, il faut plus que de simples connaissances: «Il faut un bouleversement complet de tout notre mode de production passé et, avec lui, de tout notre régime social actuel.» Marx disait quant à lui dans Le Capital: «Du point de vue d’une organisation économique supérieure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe paraîtra tout aussi absurde que le droit de propriété d’un individu sur son prochain.»
Cet héritage a toutefois été caché durant une longue période tant par la social-démocratie que par le stalinisme. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Que peut apporter une révolution?
Quand, en 1917, la classe ouvrière a pris le pouvoir en Russie, le jeune pouvoir révolutionnaire s’est retrouvé isolé dans un pays dévasté par la Première Guerre mondiale et très rapidement plongé dans la guerre civile. Pourtant, le gouvernement soviétique a immédiatement pris des dispositions concernant l’environnement qui sont une grande source d’inspiration pour aujourd’hui.
Deux jours après la prise de pouvoir, le décret « Sur la terre » nationalisa toutes les forêts, les minéraux et l’eau. Une demi-année plus tard, en mai 1918, un autre décret, « Sur les forêts », a établi le contrôle centralisé du reboisement et de la protection forestière. De façon semblable, la chasse fut réglementée et permise seulement durant certaines saisons. La Révolution russe a également permis d’établir des recherches portant sur l’océanographie et la pêche continentale en plein guerre civile!
La réserve naturelle d’Astrachanski a été créée en 1919. En 1924, il existait quatre réserves de ce genre.(*) Plusieurs nouvelles institutions de recherche ont été créées, les scientifiques russes étaient considérés comme des écologistes de premier plan tandis que des cours d’écologie étaient donnés à l’Université de Moscou. Le scientifique Vladimir Vernadsky devint une célébrité mondiale pour son concept de la «noosphère»: un nouvel état de la biosphère dans lequel les humains jouent un rôle actif dans le changement qui est basé sur la reconnaissance de l’interconnexion des hommes et des femmes avec la nature. Cela a accompagné des discussions tout aussi avant-gardistes concernant l’urbanisme et l’architecture.
La mise en pratique de ces idées révolutionnaires a toutefois pris fin de façon extrêmement abrupte. La contre-révolution stalinienne, causée par l’isolement de la révolution dans une Russie dévastée, a eu ses effets non seulement sur la démocratie ouvrière, mais aussi sur la liberté de recherche, notamment concernant l’environnement. Le bilan des premières années de la révolution reste cependant impressionnant et ne donne qu’un perçu de ce qui pourrait être réalisé aujourd’hui avec les capacités et connaissances modernes, une fois celles-ci libérées de la recherche du profit à tout prix.
(*) La version papier de Lutte Socialiste indiquait à tort que la première réserve naturelle au monde avait été créée en Union soviétique en 1920. C’est inexact : les parcs naturels et les réserves existaient déjà. Cependant, malgré les conditions de guerre civile et de pénurie, la jeune Union soviétique a rapidement mis l’accent sur la conservation de la nature, une approche qui a été bouleversée par le stalinisme.