Parallèlement à la mobilisation des parents des otages israéliens, des mobilisations internationales de masse sont parvenues à imposer une première trêve humanitaire de quatre jours avec échanges de prisonniers. Il est possible d’aller beaucoup plus loin en maintenant ces mobilisations, en les élargissant et en les accompagnant d’actions de grève de plus en plus importantes. Ce sont les méthodes de lutte du mouvement ouvrier : la clé non seulement pour stopper ce carnage, mais aussi pour mettre fin à ses racines : l’occupation, le blocus, l’expansion des colonies et la misère.
Par Eric Byl
Un déluge de mort et de destruction
Rien ni personne n’est épargné par l’offensive israélienne sur Gaza. Au cours des trois premières semaines, plus de bombes y ont été larguées que sur l’ensemble de l’Afghanistan à l’époque. 18.000 tonnes de TNT au total, soit l’équivalent de la bombe atomique lâchée sur Hiroshima. Après 48 jours, le bilan est de 14.758 morts, mais il pourrait déjà s’élever à 20.000 car on estime que plus de 6.000 corps gisent encore sous les décombres. Au moins 6.000 enfants et 4.000 femmes ont été tués. Sur une population de 2,3 millions d’habitants, 1,7 million sont aujourd’hui à la rue, la plupart déplacés hors des camps de réfugiés où leurs familles s’étaient retrouvées après la Nakba de 1948.
Plus de la moitié des maisons, soit 278.000, ont été détruites ou endommagées. Les survivants trouvent refuge dans les écoles et les hôpitaux dans l’espoir que le régime israélien respecte le droit international de la guerre. Entre-temps, 311 écoles et 87 ambulances ont déjà été endommagées, seuls 9 des 35 hôpitaux fonctionnent encore et 200 travailleurs de la santé ont été tués. La bombe qui a explosé sur l’hôpital Al Ahli Arab, puis le siège de l’hôpital Al Shifa et de l’hôpital indonésien ont illustré que rien ne peut consituer un abri. Au 22 novembre, 53 journalistes ont déjà été tués, dont 46 Palestiniens. Le régime israélien bloquant l’approvisionnement en eau, en nourriture, en médicaments et en carburant, la population doit utiliser de l’eau salée et polluée. Les maladies infectieuses et la famine menacent de devenir incontrôlables.
C’est un tsunami de mort et de destruction que la machine de guerre israélienne déverse sur Gaza pour se venger de l’attaque surprise du Hamas du 7 octobre. Ce dernier présente celle-ci comme une lutte partisane contre le siège et le blocus, vision des choses aujourd’hui renforcée par les destructions massives causées par la machine de guerre israélienne. En réalité, il s’agit d’un horrible massacre planifié au cours duquel 1.200 Juifs, Arabes palestiniens et travailleurs migrants, y compris des enfants et des bébés, ont été tués. Dans le sillage de cette attaque, 240 otages ont été capturés. Ce faisant, le Hamas voulait contrecarrer le processus de normalisation des pays arabes avec Israël, une stratégie délibérée visant à faire tomber la cause palestinienne dans l’oubli. Le Hamas savait que le régime israélien riposterait durement. Son objectif n’était pas d’améliorer la situation à Gaza, mais de remettre la Palestine à l’ordre du jour.
Le mouvement de protestation
Le gouvernement de droite et d’extrême droite de Netanyahou avait été contesté pendant dix mois par un mouvement de masse contre son projet de coup d’État légal et ses politiques antisociales. Il s’est saisi de ce crime pour alimenter une vague de vengeance, de nationalisme et de racisme, tout en créant un semblant d’unité nationale et en cherchant à s’assurer le soutien de l’opinion publique internationale. Jamais auparavant ses alliés occidentaux n’avaient pris le parti d’Israël de manière aussi inconditionnelle et aveugle. Quiconque osait mentionner l’occupation et le blocus était accusé de soutenir le Hamas, le terrorisme voire l’antisémitisme. Des manifestations pro-palestiniennes ont été interdites et qualifiées de “marches de la haine”. Le port de drapeaux palestiniens ou du keffieh a été criminalisé, de même que certains slogans.
Mais rapidement, le cycle du sang, de la destruction et de la punition collective à Gaza a éclipsé le crime du Hamas. Même la machine de propagande israélienne n’a pas pu l’ignorer. D’imposantes manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu à travers le monde. Elles ont également exercé une pression énorme sur les régimes arabes favorables aux États-Unis. Aux États-Unis, on parle d’un fossé générationnel où les personnes de plus de 50 ans sont majoritairement favorables à Israël, alors que plus la population est jeune, plus le soutien aux masses palestiniennes est important, y compris parmi les jeunes de la communauté juive. Cela met à mal l’hypocrisie du bloc occidental en tant que gardien de la démocratie face aux crimes de guerre. Cela met même en péril la réélection de Biden. En Europe, de plus en plus de chefs de gouvernement ne peuvent s’empêcher de se prononcer en faveur d’une trêve des armes et d’une paix négociée.
Le cabinet de guerre israélien qualifie son offensive vengeresse de “frappe défensive” visant à détruire le Hamas et à libérer les otages. Mais pendant ce temps, c’est toute la population qui est visée et toutes les infrastructures détruites. Israël ne parviendra pas plus à détruire le Hamas que les États-Unis ne sont parvenus à détruire les talibans à l’époque. En soutenant sans réserve la «guerre de défense» d’Israël, le bloc impérialiste occidental a voulu intégrer pleinement Israël dans son bloc de pouvoir et clarifier immédiatement à toute la région, ainsi qu’à la Chine et à la Russie, qui a le pouvoir militaire au Moyen-Orient. La présence de porte-avions américains visait à dissuader les milices pro-iraniennes au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, l’Iran lui-même et d’autres pays arabes d’intervenir. Elle a immédiatement préparé le terrain pour qu’Israël puisse poursuivre ses activités à Gaza.
Pour l’instant, l’impérialisme occidental reçoit son dû sur le plan militaire, mais au prix d’un affaiblissement politique, tandis que la Chine se positionne hypocritement comme un artisan de la paix et que Poutine abuse de la tragédie palestinienne pour justifier sa propre agression en Ukraine. Aucune des puissances impérialistes dominantes ne souhaite une extension régionale de la guerre, mais ce risque est ancré dans la situation. De plus, personne n’a de stratégie de sortie sérieuse et Israël et le bloc occidental sont dans une impasse stratégique qui pourrait finir par les miner militairement aussi. Plus la trêve durera, plus il sera difficile pour le régime israélien de reprendre les attaques. Mais ce gouvernement est le plus à droite du monde précisément parce qu’il maintient l’occupation.
Stopper le carnage
La première tâche, et la plus importante, consiste à stopper le carnage, à rétablir l’approvisionnement en eau, en nourriture, en médicaments et en carburant, ainsi qu’à procéder à un échange intégral de prisonniers, comme le réclament également les proches des otages. La meilleure façon d’y contribuer est d’élargir les mobilisations internationales. La spontanéité est une bonne chose, la création de comités de mobilisation dans les écoles et les universités en est une meilleure encore.
L’appel des syndicats belges du transport pour empêcher le chargement et le déchargement de matériel militaire et de marchandises en provenance des colonies a trouvé écho en Catalogne et à Gênes. Dans plusieurs endroits, plusieurs centaines de militants ont bloqué la production et/ou le transport d’armes. Des actions de solidarité ont été menées dans les hôpitaux et par des journalistes du monde entier. Tout cela répondait à un appel lancé par les syndicats palestiniens.
Le succès initial des mobilisations de masse et des grèves démontre que ce ne sont pas seulement les calculs géopolitiques des gouvernements capitalistes, mais aussi la lutte des classes qui peuvent en fin de compte contribuer à déterminer le cours de l’histoire. Des millions de travailleurs et de personnes opprimées à travers le monde montrent qu’ils et elles ne laisseront pas la classe dirigeante s’en tirer à bon compte avec ses crimes. La généralisation et l’intensification de l’action ouvrière peut réellement les stopper.
La libération nationale par la libération sociale
Le PSL, son parti frère le Mouvement de Lutte Socialiste en Palestine/Israël et leur internationale Alternative Socialiste Internationale sont engagés dans le développement du mouvement de solidarité internationale. Cependant, tant que les Palestiniens se verront refuser le droit à leur propre État, de nouvelles confrontations, encore plus horribles, éclateront. Sur une base capitaliste, la libération de la Palestine s’est avérée illusoire, que ce soit dans le cadre d’un seul État ou d’une solution à deux États. C’est précisément la raison pour laquelle la diplomatie et les forces internationales ne peuvent au mieux que retarder la prochaine confrontation.
La libération nationale de la Palestine ne peut être séparée de la libération sociale. Elle ne peut être et ne sera pas imposée par une confrontation militaire, mais par la seule chose qui ait jamais pu forcer des concessions jusqu’à présent : une lutte de masse politique et sociale où la lutte armée est un outil sous le contrôle démocratique de la population. Nous appelons – en Palestine et en Israël – à la création de comités de lutte démocratiques dans l’esprit de la première Intifada (1987-1993) et de la Grève de la dignité (2021). Ce n’est que de cette manière qu’une Palestine indépendante avec une capitale à Jérusalem peut être mise en œuvre, en même temps que seule une Palestine socialiste peut apporter la prospérité en exploitant la richesse nationale au profit de la grande majorité de la population.
Une telle Palestine socialiste serait un pôle d’attraction et une source d’inspiration pour les masses de tout le Moyen-Orient, une impulsion en faveur d’une confédération socialiste volontaire du Moyen-Orient. Reconstruire Gaza, sans parler d’une Gaza prospère, semble impossible aujourd’hui. Cela nécessiterait un plan Marshall, mais serait similaire ou plus dur encore que la reconstruction de l’Afghanistan ou, disons, de l’Irak. Une confédération socialiste volontaire du Moyen-Orient tirerait parti des vastes ressources de la région pour y parvenir.
Le régime israélien présente de fortes caractéristiques d’apartheid, mais avec une population juive elle-même déchirée par les divisions de classe et la discrimination. Contrairement aux régimes coloniaux précédents, cette population n’a pas de métropole en dehors de la région où aller. Le régime abuse de cette situation pour créer un sentiment de citadelle assiégée et instrumentaliser le désir de sécurité. Une Palestine socialiste, sans parler d’une confédération socialiste du Moyen-Orient, inciterait fortement la classe ouvrière israélienne à se battre également pour une transformation socialiste, surtout si cela s’accompagne de la reconnaissance de son droit à l’autodétermination et à la sécurité. Cela signifierait non seulement la fin de l’occupation, mais jetterait également les bases de la reconnaissance de l’injustice historique et d’une interprétation juste du droit au retour des réfugiés palestiniens. Nous luttons pour un État socialiste démocratique avec une égalité totale des droits en Palestine et un Israël démocratique et socialiste, avec les deux capitales à Jérusalem et une égalité totale pour toutes les minorités, dans le cadre d’une confédération socialiste régionale volontaire.