Inde. Modi s’apprête à entamer un nouveau mandat marqué par de nouvelles tensions communautaires et sociales

L’establishment indien aime présenter le pays comme la plus grande démocratie du monde. Avec 1,4 milliard d’habitants, c’est effectivement le pays le plus peuplé et des élections sont prévues début mai. Le parti au pouvoir, le BJP (Bharatiya Janata Party, “Parti indien du Peuple”), un parti nationaliste hindou d’extrême droite qui compte 180 millions de membres, semble se diriger vers une nouvelle victoire. Non pas par enthousiasme pour ce que le parti du Premier ministre Modi a à offrir à la population, mais en raison de la faillite totale de l’opposition et d’un sectarisme religieux de plus en plus brutal.

Modi, le nouveau dieu hindou

Dans sa course au chauvinisme hindou, Modi a récemment ouvert un nouveau temple à Ayodhya, en faisant office de sorte de grand prêtre. Il ne s’agit pas de n’importe quel temple : la mosquée historique d’Ayodhya a été prise d’assaut et détruite en 1992 par des partisans du BJP qui voulaient construire un temple au même endroit pour honorer Ram. L’attaque avait été suivie de violences communautaires dans toute l’Inde. 2.000 personnes y ont trouvé la mort. Pour les nationalistes, Ram est “la personnification de notre concept de nationalisme culturel”, comme l’a déclaré l’ancien dirigeant du BJP Advani. Le nouveau temple, situé sur les ruines de l’ancienne mosquée, a été inauguré par Modi lors d’un spectacle particulièrement coûteux, avant même d’être entièrement achevé. Les députés du BJP ont alors parlé de Modi comme du “Roi des Dieux”. Ram n’est de toute évidence pas le seul à être vénéré dans ce temple…

Ces événements ont donné un nouvel élan à la violence nationaliste principalement dirigée contre les musulmans. Des mosquées sont attaquées et tandis que nouvelles mesures sont avancées afin de refuser l’accès à la citoyenneté pour toute une partie de la population indienne. Des initiatives similaires avaient été précédemment repoussées par des mobilisations de masse. L’animosité envers le Pakistan voisin est également à nouveau alimentée, en particulier autour de la question du Cachemire, partagé entre l’Inde et le Pakistan.

Ce nationalisme exacerbé sert à détourner l’attention de la crise sociale. Au cours d’une décennie, la politique du BJP et de Modi n’a délivré aucune amélioration pour la majorité de la population. Seuls les plus riches félicitent l’action gouvernementale, symbolisée par l’essor de Gautam Adani et Mukesh Ambani, deux milliardaires indiens qui figurent parmi les 20 personnes les plus riches au monde. Le pourcent le plus riche du pays détient 40,6% de l’ensemble des richesses. Le revers de la médaille, c’est que l’Inde compte le plus grand nombre de pauvres au monde : 228,9 millions de personnes.

Tapis rouge pour les richissimes

Le fossé obscène entre cette masse considérable de gens qui peinent à survivre et la richesse écœurante au sommet a une fois de plus été souligné début mars, à l’occasion de la grande célébration pré-mariage du plus jeune fils de Mukesh Ambani. L’élite capitaliste mondiale s’y était donnée rendez-vous, dont Bill Gates, Ivanka Trump, Rihanna, Mark Zuckerberg et un grand nombre des stars les plus en vue de “Bollywood”, le Hollywood indien. Ambani a choisi d’organiser cette fête à 140 millions d’euros dans l’État du Gujarat, dont Modi avait été nommé chef du gouvernement en 2001.

Avec l’aide de l’élite économique, dont Ambani, le BJP et Modi dominent aujourd’hui la scène médiatique. Les règles électorales ont été opportunément modifiée afin d’autoriser les donations de millions de dollars aux campagnes électorales, principalement à l’avantage du BJP. Ce n’est aucunement un hasard si Ambani a décrit Modi comme “le premier ministre le plus prospère de l’histoire de l’Inde”, son succès ayant largement profité à son propre portefeuille et sa soif de prestige. L’autre figure de proue du capitalisme indien, Gautam Adani, a été brièvement sous le feu des critiques pour fraude, mais la clémence de la justice indienne a conduit l’enquête dans un cul-de-sac.

Sans surprise, l’extrême droite indienne déroule le tapis rouge à la voracité de la classe capitaliste tandis que la grande majorité de la population continue de subir la misère. De grandes mobilisations ont toutefois eu lieu à plusieurs reprises, parmi lesquelles les plus grandes grèves générales de l’histoire de l’humanité ou encore les protestations de masse des agriculteurs qui ont partiellement stoppé la libéralisation du secteur agricole. La contestation paysanne se poursuit d’ailleurs toujours, en dépit d’une sévère répression de la part des autorités qui entendent offrir toute l’agriculture à l’agrobusiness. Mais, et c’est bien entendu crucial, la vaste protestation des agriculteurs, soutenue par le mouvement ouvrier, a imposé des concessions significatives à Modi. Une lutte acharnée de par le monde d’en bas, voilà la solution.

La faillite de l’opposition

Malheureusement, on ne peut pas compter sur l’opposition officielle. Le plus grand parti d’opposition est le Parti du Congrès, lui-même responsable de l’introduction des mesures néolibérales et qui, depuis 1980, n’est pas étranger à l’entrée du nationalisme hindou dans la politique. Malgré l’alliance des partis d’opposition, il ne semble pas que le BJP puisse être vaincu. La gauche s’est constamment affaiblie ces dernières années, essentiellement en raison des politiques antisociales qu’elle a elle-même appliqué, notamment au Bengale occidental. Résultat : la tradition d’un parti communiste autrefois puissant a largement disparu et le BJP a pu y faire une percée inédite. Aujourd’hui encore, les divers partis communistes du pays continuent de s’aligner sur le Pari du Congrès sur base de calculs électoraux au lieu de s’engager dans l’organisation de la lutte. Au niveau local, les partis d’opposition appliquent eux-mêmes des politiques antisociales et instrumentalisent les discriminations et l’oppression de castes. La faillite de l’opposition a élargi le champ des attaques antidémocratiques du BJP, telles que la suspension de plus de 140 députés en décembre et l’arrestation de dirigeants de partis d’opposition.

Le maintien du BJP au pouvoir ne fera qu’accroître les tensions sectaires. Parallèlement, la discrimination fondée sur le système de castes s’intensifie. Sur la scène internationale, Modi s’aligne sur les intérêts de l’impérialisme américain et espère que son ami Trump sera réélu. Le régime indien veut faire entrer les investissements qui migrent hors de Chine, même si les infrastructures et les conditions générales offertes par l’Inde posent de nombreux obstacles. Les liens avec l’impérialisme américain sont utilisés dans sa concurrence face à l’impérialisme chinois. En dépit de la coopération officielle dans le cadre des pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), les tensions entre l’Inde et la Chine restent vives. La frontière entre la Chine et l’Arunachal Pradesh, au nord-est de l’Inde, fait l’objet de litiges, mais c’est surtout la concurrence régionale qui importe. Dans le même temps, Modi tente de préserver une sorte de semi-indépendance où subsistent de bonnes relations avec la Russie. Son régime n’a pas hésité à assassiner un séparatiste sikh de droite au Canada pour tendre les relations avec ce pays. Néanmoins, tout indique que les liens avec le bloc qui entoure l’impérialisme américain se renforcent et détermineront la position géopolitique de l’Inde.

La période à venir sera marquée par de nouvelles tensions. En se limitant aux étroites limites du capitalisme, l’opposition indienne ne parviendra pas à enrayer la montée des divisions sociales, de la misère et de la violence communautaire. La riposte contre l’extrême droite passe par une stratégie de rupture de système reposant sur une classe ouvrière jeune et dynamique et une paysannerie pauvre unies dans la lutte contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation. Alternative Socialiste – Inde (ASI) veut jouer un rôle à cet égard.

Construire une alternative socialiste révolutionnaire

Alternative Socialiste Internationale a commencé à construire une nouvelle section en Inde en 2020, en pleine pandémie. Il n’est pas évident d’entamer une tâche aussi importante que la construction d’une force révolutionnaire sur un sous-continent. Entre-temps, grâce à des réunions hebdomadaires visant à jeter les bases politiques de notre organisation, des progrès notables ont été réalisés. Les premières éditions d’un journal ont été publiées et notre section-soeur a participé à diverses actions, notamment contre le massacre à Gaza.

Le 8 mars, Journée Internationale de lutte pour les Droits des Femmes, a été célébré avec le lancement de la campagne ROSA en Inde, lors d’une réunion où 18 personnes ont écouté Laura Fitzgerald de ROSA Irlande, Moumita d’ASI-Inde et Meena Kandasamy, écrivaine et activiste indienne bien connue. Le lien entre les différentes formes d’oppression sous le capitalisme a occupé une place prépondérante lors de cette réunion, qui a également mis l’accent sur la nécessité de lutter sans relâche contre l’oppression des castes. ASI en Inde aborde l’histoire et la réalité de la discrimination de caste afin d’affiner son analyse marxiste, une nécessité absolue dans un pays où le système de caste est si important. Le fait qu’un terme comme “paria” ait été adopté en français directement à partir du système de castes indien montre à quel point cette oppression est puissante.

Il existe également des contacts avec la campagne PAPA (Project Affected People’s Association) qui s’est opposée au projet de construction de la mine à ciel ouvert Deucha Panchami à Birhbum, dans le Bengale occidental, qui serait la deuxième plus grande mine de ce type au monde. Pour cette mine, 21.000 personnes devront être déplacées, dont 9.000 Adivasis (un peuple autochtone) et 4.000 Dalits (les soi-disant “intouchables” qui sont exclus du système des castes). L’ensemble du projet est désastreux pour les populations locales, mais aussi pour l’environnement. Les seuls gagnants sont les propriétaires super-riches de la société minière et leurs marionnettes politiques. En collaboration avec la PAPA, ASI souhaite faire connaître la lutte contre ce projet minier au niveau international.

Plus d’informations via socialistindia.org

Auteur