À propos du cadrage politique, du sensationnalisme médiatique et de l’« action individuelle »

La ritournelle agaçante de la chaîne publique VRT : 80 000 manifestants?

140 000 manifestants, voire plus, composés de travailleurs ordinaires et de leurs familles, de retraités, de jeunes, de syndicalistes et de non-syndicalistes, ont manifesté pacifiquement et de manière disciplinée le 14 octobre. Selon des syndicalistes expérimentés qui militent depuis plusieurs décennies, il s’agissait de la plus grande manifestation syndicale depuis 1986 (contre les plans d’austérité du gouvernement Martens). La police n’a toutefois dénombré que 80 000 manifestants : aveuglée par ses propres gaz lacrymogènes ? En 2014, la police avait également (par hasard ?) parlé de 80 000 manifestants, alors que les syndicats en avaient dénombré 120 000. Le chiffre de 80 000 semble avoir une signification politique : pour être sûr qu’il ne s’agisse pas du chiffre symbolique de 100 000 ou plus !

Rien que dans la province de Liège, 24 000 manifestants s’étaient préalablement inscrits pour venir en train et en bus (RTBF 13/10/2025). Deux des 12 trains supplémentaires sont partis de la gare de Liège-Guillemins. Malgré la mise en place de ces trains supplémentaires, tout le monde n’a pas pu se rendre à Bruxelles. Au total, 75 000 billets de train ont été demandés à l’avance par les syndicats. Cependant, beaucoup sont venus à Bruxelles par d’autres moyens. Pour plus de détails, nous vous renvoyons à l’article de Peter Mertens (1).

2014 revisité : les émeutes éclipsent l’actualité

Cette mobilisation syndicale historique a toutefois été ternie par les médias traditionnels, qui se sont fortement concentrés sur les émeutes comme en 2014… et ont complètement ignoré les violences policières (voir plus loin dans l’article). Les militants expérimentés avaient déjà compris à l’avance comment les événements du 14 octobre seraient présentés dans les médias.

Heureusement, cette prévisibilité sape la crédibilité des médias traditionnels. Ceux-ci prennent systématiquement le parti du statu quo et donc de la destruction sociale pour laquelle il n’existerait aucune alternative. En raison de l’ampleur considérable de la manifestation, de nombreux manifestants n’ont rien remarqué des émeutes sur le moment. Et pour couronner le tout, ces mêmes médias grand public ont ressorti le CCC (2). Dans le langage de Bart De Wever, on appelle cela un « deus ex machina ».

Les fantômes du passé…

Les « Cellules Communistes Combattantes » étaient une organisation terroriste qui a commis 25 attentats au milieu des années 80, faisant deux victimes mortelles (des pompiers). Ces attentats, ainsi que les meurtres brutaux commis par les Tueurs du Brabant, s’inscrivent dans la « période de tension » qui a conduit à un renforcement de l’armement des services de police. Lier les (descendants des) CCC au vaste mouvement antifasciste et au mouvement de protestation contre la dégradation sociale est un bel exemple de théorie du complot trumpiste. Le sensationnel avant tout, et surtout, ne laissez pas la vérité vous gêner ! Les médias flamands ont pudiquement passé sous silence la violence policière disproportionnée et aveugle. Heureusement, il y a encore le journal Le Soir (3), qui est tout sauf de gauche, et qui a osé aborder ce sujet tabou.

Sensationnalisme ou agenda politique ?

Le sensationnalisme des médias avec leurs articles sur le CCC et les émeutes du 14 octobre a un objectif clair. Tout d’abord, bien sûr, celui d’attirer les clics. Le sensationnel fait vendre.

Mais sous-jacente, la VRT vise entre autres le « microcosme radical de gauche unique » à Bruxelles, que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le pays. Ce microcosme fonctionne depuis plusieurs années comme un catalyseur pour toutes sortes de mouvements de protestation : La santé en lutte – De Zorg in Actie, CAB – Antifascist Coordination of Belgium, Commune Colère … Criminaliser et cibler ce milieu politique revient, à une échelle moindre, à ce qu’a fait la Dame de fer Thatcher avec les mineurs en Grande-Bretagne. La défaite des mineurs a brisé l’épine dorsale des syndicats. À ce jour, le mouvement ouvrier organisé en Grande-Bretagne ne s’est pas remis de cette défaite. Sans ce microcosme, la lutte sociale à Bruxelles et en Belgique serait beaucoup plus modérée, moins déterminée et probablement aussi plus « ennuyeuse ». Cela ne veut pas dire que nous sommes toujours d’accord, mais tout comme « antifa », ce microcosme est très hétérogène.

Un exemple de « catalyseur » de la lutte sociale

De nombreux syndicalistes (militants/délégués, mais aussi des permanents et responsables syndicaux) en font partie. Ce microcosme a notamment pris l’initiative de créer le groupe d’action/mouvement citoyen « La Santé en Lutte – De Zorg in Actie », qui a rassemblé toutes les parties prenantes du secteur des soins de santé, au-delà de toutes les divisions : syndicats, associations de patients, etc. Sous la pression d’une série d’actions et de grèves dans les hôpitaux bruxellois en 2019, la création d’un fonds pour le personnel de santé (400 millions d’euros, soit plus de 5 000 emplois à temps plein supplémentaires dans le secteur des soins) a été votée au Parlement fédéral. Il n’est pas surprenant que les appareils syndicaux nationaux se soient sentis dépassés… par une initiative lancée par une partie de leur propre base critique. Pendant la crise du Covid, ce mouvement citoyen, soutenu entre autres par la FGTB bruxelloise, est passé à l’action en organisant notamment deux grandes manifestations nationales dans le secteur des soins à Bruxelles. Sans oublier les images qui ont fait le tour du monde lorsque le personnel soignant de l’hôpital Saint-Pierre a tourné le dos à la Première ministre de l’époque, Sophie Wilmès. On peut difficilement qualifier le personnel soignant de « black bloc »…

Il s’agit en fait de la criminalisation de toute protestation contre la politique de démantèlement de l’extrême droite.

Ce n’est donc pas un hasard si, trois jours après le 14 octobre, des « robocops » ont procédé à l’expulsion musclée et violente de 70 réfugiés d’un ancien bâtiment syndical squatté à Anderlecht. Entre 300 et 400 militants, dont des syndicalistes, ont tenté de les en empêcher, mais en vain (4).

Black bloc : les idiots utiles de l’agenda (d’extrême) droite ?

« Antifa » est très hétérogène et se compose de différentes traditions politiques. Blokbuster et Syndicalistes CONTRE le fascisme agissent dans la tradition des Jeunes Gardes Socialistes (JGS) et de la Ligue Internationale Socialiste Anti-guerre des années 30 (5). Un lien organique et des racines solides dans le mouvement ouvrier organisé empêchent les débordements violents isolés dans l’action individuelle. Nous pouvons toutefois comprendre que le « caractère révolutionnaire de l’acte » exerce un attrait sur une certaine couche de jeunes. (voir plus loin)

Dans la lutte globale contre le capitalisme, une telle action individuelle est toutefois contre-productive. La mobilisation de masse est la seule voie possible. Le choix d’une action individuelle peut résulter d’une frustration face à « la passivité des masses ». Cependant, se substituer à ces masses ne fonctionne pas.

L’antimilitarisme n’est pas du pacifisme

Les JGS et la Ligue étaient antimilitaristes, mais pas pacifistes. La grande différence est la suivante : les pacifistes rejettent toutes les formes de violence comme s’il s’agissait d’une doctrine religieuse. Les antimilitaristes, par contre, reconnaissent le droit à l’autodéfense (qui existe d’ailleurs pour chaque citoyen de ce pays) contre les violences d’extrême droite et les violences policières aveugles.

Les médias flamands sont tout sauf impartiaux

Ce n’est pas un hasard si les articles critiques sur les violences policières excessives proviennent principalement des médias francophones. Il ne faut pas s’attendre à ce genre d’articles critiques de la part de la chaîne publique VRT, contrôlée par les autorités politiques. Dans Le Soir du 17/10/2025 (6), un article traite de l’utilisation excessive et abusive de gaz lacrymogène par les « forces de l’ordre » le 14 octobre. Il apparaît également que le Comité P (la police de la police) dénonçait déjà en 2023 l’utilisation abusive et excessive de gaz lacrymogène lors de manifestations de masse. Comité P : « L’Inspection générale relève le manque de formation et d’expérience de certaines unités policières par rapport à des services d’ordre où la violence s’est intensifiée ces derniers temps ». Le Soir donne également la parole à des victimes de violences policières (7). « Un nombre conséquent de témoignages émergent pour dénoncer des violences policières. Parmi ces récits, celui de Pauline, mère de deux enfants pris au piège d’une intervention que la police justifie par la nécessité de disperser des casseurs. »

Le vent d’extrême droite contre l’antifa vient des États-Unis

Trump et ses clones politiques – grands et petits – Theo Frankenstein de la N-VA, Baby-Trump Bouchez du MR, etc., attaquent « l’antifa » en caricaturant le black bloc dans un seul but : criminaliser et réprimer TOUS les mouvements de protestation contre la destruction sociale et le capitalisme en général.

Le mouvement altermondialiste : le mythique « black bloc » fait son apparition sur la scène mondiale

Le « black bloc » est apparu pour la première fois sur la scène internationale lors des manifestations du mouvement altermondialiste à la fin des années 90 et au début des années 2000. À l’époque, les médias ont dépeint le mouvement altermondialiste comme « un cirque itinérant de casseurs », alors que ce mouvement, tout comme les manifestations syndicales d’aujourd’hui, était composé à 99 % de manifestants pacifiques. La répression a donc été à la hauteur : en juin 2001, trois manifestants ont été abattus dans le dos par la police à Göteborg (Suède) et un mois plus tard, à Gênes (Italie), le premier mort a été déploré : Carlo Giuliani, 23 ans.

Lors des manifestations à Göteborg, une délégation belge de « Résistance Internationale » était présente. Cette délégation a été entièrement mobilisée comme stewards lors de la marche anticapitaliste (l’une des nombreuses actions qui ont eu lieu à l’époque).

Cette manifestation allait rapidement dégénérer en une bataille à grande échelle avec des barricades et des nuages de fumée dans la rue principale de la ville. En marge de cette marche, trois manifestants ont été abattus dans le dos par la police. La marche avait commencé pacifiquement mais avec détermination, avec quelques milliers de militants. Cependant, une attaque surprise de la police montée (renforcée par la brigade canine) allait mettre le feu aux poudres, avec l’aide de dizaines de policiers provocateurs vêtus de noir et masqués. Les stewards de la manifestation ont vu de leurs propres yeux des membres du Black Bloc lancer des pavés en direction des manifestants. La manifestation avait en effet été coupée en deux par la police montée, ce qui a eu comme conséquence que les pierres du Black Bloc étaient tombés sur la tête du cortège… Peu après, nous avons vu ces mêmes silhouettes noires courir vers les lignes de police en brandissant leur carte d’identité de la police. Le gouvernement suédois n’en a pas vraiment fait mystère : les journaux ont tranquillement mentionné que la police avait déployé plus de 100 infiltrés.

Au cours du procès contre les trois manifestants abattus (!), la police suédoise a été démasquée : elle avait délibérément monté une autre bande sonore sur les images vidéo de l’incident dans une tentative désespérée d’invoquer la « légitime défense ». Malheureusement pour elle, cela n’a pas fonctionné.

Les méthodes du black bloc permettent aux provocateurs (policiers) et à l’extrême droite de faire « leur travail » très facilement et discrètement.

Laissons la parole à un syndicaliste et animateur syndical à la retraite :

« En tant que délégué combatif (aujourd’hui à la retraite) de la FGTB, je ne peux toutefois pas comprendre les destructions qui ont eu lieu hier lors de la manifestation syndicale. Cela discrédite l’action syndicale et dissuade les gens de participer à une prochaine manifestation. Cela fait que la presse et la société discutent davantage des émeutes que des points de fond pour lesquels le syndicat s’est mobilisé. De plus, cela donne à la droite suffisamment d’excuses pour voter des lois plus répressives. On aime faire la comparaison avec de grandes révoltes révolutionnaires telles que la Commune de Paris, mais il y a une grande différence entre une révolte populaire et les actions isolées de quelques individus qui pensent pouvoir se substituer à des mobilisations de masse. Si vous voulez vraiment changer les choses, vous avez besoin du soutien d’une grande partie de la population. Il n’existe pas de raccourcis violents pour y parvenir. »

En résumé : l’action individuelle ne peut jamais remplacer l’action collective.

La quête politique des jeunes pour trouver une alternative au capitalisme ne se déroule pas toujours de manière linéaire

Nous comprenons que les jeunes radicalisés issus, par exemple, de milieux petits-bourgeois sans lien organique avec le mouvement ouvrier organisé, soient attirés par « le caractère révolutionnaire de l’action » dans un élan d’aventurisme romantique et naïf. Dans l’interview accordée à NWS à « quelques émeutiers » (8), ce sont principalement des motivations moralistes qui ressortent. Dans le même temps, certains se réclament du « marxisme ». Nous recommandons à ces jeunes de lire quelques ouvrages marxistes, en particulier ceux qui traitent de l’action individuelle. La violence individuelle émanant d’un petit groupe isolé, détaché de la classe ouvrière, n’a jamais eu d’influence positive sur le rapport de forces, bien au contraire.

Ces jeunes ne sont toutefois pas tous « perdus ». L’expérience du mouvement altermondialiste nous apprend que certains jeunes radicalisés finissent par tirer les bonnes conclusions politiques à partir de leur expérience pratique. Cependant, une grande partie d’entre eux, en vieillissant, tombent dans la désillusion et l’inactivité politique, se conforment au capitalisme ou, pire encore, apparaissent soudainement sur le lieu de travail comme « le patron que tout le monde déteste ». Nous ne convaincrons jamais les purs provocateurs.

Certains jeunes militants du mouvement altermondialiste sont en effet passés de « jouer des jeux anarchistes avec les flics » à un engagement syndical cohérent et font même partie des directions syndicales.

Dans la perspective plus large de la lutte des classes, l’action individuelle est toujours contre-productive. Nous tenons toutefois à souligner que « l’action directe » n’est pas synonyme d’« action individuelle ». Les travailleurs qui cessent le travail et bloquent leur entreprise avec un piquet de grève relèvent bien de la catégorie « action directe ». Nous ne nous faisons toutefois aucune illusion : le débat entre « anarchistes » (un drapeau noir qui ne reflète pas toujours la réalité) et marxistes sur le type d’action nécessaire pour parvenir à un changement social ne sera pas réglé de sitôt.

L’AFF donne un bel aperçu de tous les groupes présents à la manifestation.

https://affverzet.wordpress.com/…/veel-jongeren-en…

Article par Bart (Alost)

Sources :

1 https://www.pvda.be/…/het-cijfergegoochel-tegen-een-van…

2 https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2025/10/15/extreemlinks/

3 https://www.lesoir.be/…/le-gaz-lacrymogene-une-arme-de…

4 https://www.lesoir.be/…/des-violences-policieres…

5 Meer over de SJW en de Internationale Socialistische Anti-oorlogsliga uit de jaren ‘30: https://www.facebook.com/photo?fbid=1232516448902916&set=a.558449809642920

6 https://www.lesoir.be/…/le-gaz-lacrymogene-une-arme-de…

7 https://www.lesoir.be/…/la-manifestation-du-14-octobre…

8 https://www.vrt.be/…/rellen-betoging-brussel-antifa…/

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