A Copenhague… et à reculons

L’avantage avec les “grrrrandes” conférences internationales, c’est qu’on peut écrire l’article deux semaines avant leur tenue (ce qui est le cas de celui-ci) en étant sûr de ne pas se tromper. Car elles suivent le même processus immuable que les visites de Saint-Nicolas aux enfants sages.

Tout commence par des mois de bombardement médiatique sur l’immensité de l’enjeu qui impose de prendre des décisions historiques. Puis, dans le mois qui précède l’échéance, le ton devient alarmiste : les pourparlers préalables entre grandes puissances s’embourbent, chacun tient son vis-à-vis par la barbichette et plus rien n’avance. Le monde entier retient son souffle. Puis le barnum a lieu sous les flashes et les micros de milliers d’envoyés spéciaux. Le tout se termine par un communiqué triomphaliste qui réaffirme toutes les bonnes intentions mais masque à grand peine l’absence des fameuses «décisions concrètes et contraignantes». Ce qui n’empêche pas la majorité des journalistes de broder encore quelques jours sur les grands défis à rencontrer, pendant que quelques voix de scientifiques courageux tentent de faire entendre leurs désillusions et leurs inquiétudes. Puis le soufflé retombe jusqu’à la prochaine “grrrrande conférence”.

 

La conférence internationale sur le réchauffement climatique à Copenhague ne fait pas exception à la règle. D’une part, les enjeux sont colossaux et l’urgence absolue. De l’autre, la perspective d’un plan de lutte contre le réchauffement impliquant des mesures réellement contraignantes est d’ores et déjà coulée par le fond.

 

Réchauffement hors de contrôle

En 2007, le rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat) affirmait qu’avec une température supérieure de deux degrés à celle que connaissait la planète avant l’entrée dans l’ère industrielle (c’est-à-dire il y a peine deux siècles), un désastre incalculable aurait lieu. Aujourd’hui, la grande majorité des scientifiques pensent que les températures augmenteront bien au-delà de ces deux degrés et que nous pourrions assister à une augmentation de trois à six degrés avant la fin de ce siècle.

La raison principale est qu’au fur et à mesure que leur température augmente, les océans perdent leur capacité à absorber du gaz carbonique. D’autre part, il y a plus de carbone stocké sous le permafrost (le sous-sol gelé en permanence) des régions polaires que dans l’atmosphère toute entière. La fonte de ce permafrost libérera donc des quantités énormes de carbone. Pour les experts, si les émissions de gaz carbonique, de sulfate et de dioxyde d’azote continuent à croître au rythme actuel, cette bombe éclatera dans les 100 années à venir. On est actuellement au seuil d’un point de non retour, un point où plus rien ne permettrait de stopper le réchauffement global, quelles que soient les mesures prises.

Or le réchauffement climatique, ce n’est pas que la perspective de cultiver des kiwis à Malines et de se promener en bikini sur le Marché de Noël à Liège. C’est surtout la désertification accélérée d’une grande partie de l’Afrique et de l’Asie couplée avec la montée du niveau de la mer qui noierait des zones littorales fortement peuplées et la multiplication des cyclones, tempêtes et autres inondations. La fonte des neiges et la disparition des énormes glaciers de l’Himalaya, c’est la perspective dans un siècle que les grands fleuves de l’Inde qui y prennent leur source ne soient plus que des cours d’eau saisonniers, poussant des dizaines voire des centaines de millions de gens sur les routes en tant que « réfugiés climatiques ».

La consommation d’énergie fossile – gaz, pétrole, charbon – est la principale source d’émission de gaz à effet de serre, à l’origine du réchauffement climatique. Et rien n’indique que cela va changer. Le dernier rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) annonce qu’ils représenteront toujours 80% de la consommation d’énergie sur la planète en 2030.

 

Un marché inefficace mais juteux

Pourtant, depuis la première conférence sur le climat à Rio en 1992, les rapports et les conférences se multiplient, de plus en plus alarmistes. Alors, pourquoi est-ce que rien – ou si peu – ne change ?

La première raison est que les politiques «vertes» mises en œuvre par les gouvernements et les grandes institutions comme l’Union Européenne, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International reflètent avant tout les intérêts du monde des affaires. La lutte contre le réchauffement climatique est abordée sous l’angle financier plutôt qu’en tenant compte d’objectifs environnementaux à long terme.

L’exemple le plus frappant est celui des «droits de polluer»: il est désormais possible aux pays les plus pollueurs de continuer à polluer en paix à condition de racheter des «droits de polluer» aux pays qui polluent moins. Le résultat est dramatiquement limité en matière de lutte contre la pollution mais ce marché, coté en Bourse, est un secteur particulièrement juteux pour les manœuvres spéculatives. D’autres mécanismes permettent aux grandes multinationales de l’énergie de poursuivre leurs projets industriels fortement consommateurs d’énergie fossile polluante à condition de prendre des mesures de compensation : planter des arbres qui absorbent le carbone, stocker le carbone sous terre ou dans l’océan,… Tout bénéfice pour ces multinationales : elles continuent à faire des profits énormes avec leurs productions classiques (et polluantes) tout en recevant des crédits importants pour développer des alternatives – qui sont d’une efficacité écologique fort réduite mais qu’elles peuvent vendre par la suite à d’autres gogos.

L’autre raison du peu d’efficacité des politiques internationales en matière de climat, c’est que la « mauvaise volonté » ne vient pas que des sociétés privées. Les Etats campent fermement aux côtés de « leurs » entreprises. Malgré les belles envolées d’Obama, les Etats-Unis continuent de refuser tout accord juridiquement contraignant sur le climat, craignant qu’il augmente encore les difficultés de l’économie US à rester la plus forte du monde. Les nouvelles puissances émergentes, comme la Chine, l’Inde ou la Russie, ne veulent pas non plus de mesures contraignantes qui freineraient leur développement économique. Les pays moins développés pourraient accepter de telles mesures à condition qu’elles soient largement financées et compensées par les pays riches… qui ne veulent pas en entendre parler.

Du côté privé comme du côté des Etats, c’est la même logique capitaliste de concurrence et de chasse au profit qui domine tout. Et ce sont les peuples et l’environnement qui en sont les victimes directes.

 

Trop tard pour une solution socialiste ?

Les enjeux liés au climat et à l’environnement sont tellement énormes et tellement urgents que pas mal de gens à gauche en vien-nent à dire que toute discussion sur la nécessité du socialisme comme réponse à la crise écologique est devenue une perte de temps parce qu’on ne peut pas espérer développer le socialisme sur une planète morte et qu’il faut agir à tout prix et dès maintenant.

Agir vite, fort et bien, nous sommes tout à fait d’accord. Mais ce que montre l’évolution des dernières décennies, c’est qu’en laissant les décisions et leur application aux mains des multinationales et des Etats, on agit peu, faiblement, en retard et sans guère de résultats ! Et il n’y a aucune raison pour que cela change à l’avenir. C’est justement pour pouvoir agir « vite, fort et bien » que la lutte pour sauver l’environnement doit devenir une partie importante de la lutte pour se débarrasser du capitalisme.

Arracher la grande production à la logique capitaliste de la concurrence et du profit permettrait de supprimer les productions inutiles et dévoratrices d’énergie, de réorienter la production vers des biens utiles, de développer des alternatives énergétiques propres et durables. Rien que supprimer les gouffres à ressources que sont l’armement, la publicité et la spéculation financière permettrait de mettre fin au sous-développement et de réorienter en profondeur les choix énergétiques, deux des secteurs-clés pour freiner le réchauffement climatique.

Un tel changement ne peut évidemment se faire d’en haut par une minorité éclairée. Il implique au contraire la plus large discussion démocratique à tous les niveaux (entreprise, communal, régional, national et international) qui aboutisse à des choix clairs, permettant une planification démocratique de la production en fonction des besoins de l’humanité et pas des profits d’une minorité d’actionnaires, de banquiers et de patrons.

Tout cela demande donc que le pouvoir réel passe des mains des capitalistes à celles de l’immense majorité de travailleurs, de paysans et de pauvres.

Le socialisme n’est pas une petite douceur qu’on pourra s’offrir après avoir sauvé la planète. Il est la condition même du sauvetage de celle-ci.

 

 

Article par JEAN PELTIER

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