Après une année 2007 agitée : vers une année 2008 explosive! Préparons nous à des changements rapides (2)

Bye bye Belgium ou business as usual?

Il est clair que la politique belge passe par une crise intense. Avec la longueur prise par la crise de formation (192 jours) le record belge précédent (148 jours) a largement été dépassé. Si le record des Pays-Bas (208 jours en 1977) n’a pas été dépassé, comme s’évertue à le répéter Dehaene, il faut remarquer qu’aux Pays-Bas, un vrai gouvernement a émergé de cette longue formation et pas un gouvernement intérim. Les résultats des élections du 10 juin 2007 et ses conséquences ont été déjà analysées au point que cela en devient ennuyeux, mais l’étude de Dimarso, récemment publié (Knack, 03/01/08) – faite immédiatement après les élections mais publiée seulement maintenant à la demande des présidents des partis flamands – confirme sur plusieurs plan notre analyse. Ainsi, le fait que seulement 19% des flamands citent le communautaire comme raison décisive pour leur choix de parti (avec 34% qui dit que cela a tout de même joué et 47% qui déclarent que cela n’a eu aucune influence) montre que le MAS/LSP avait fait une estimation correcte de la conscience parmi les masses flamandes. L’étude de Dimarso illustre aussi que c’est difficile de parler d’une « droitisation » en Flandre. L’absence durant longtemps d’un parti ouvrier dans le paysage politique a causé plutôt une confusion totale sur ce qui est « droite » et « gauche » : « Seuls 21% des flamands se dit de droite, 17% est fière d’être à gauche. En 2004 il y avait encore 2% en plus de personnes qui se déclaraient « à droite » » … « 28,8% ne se reconnaît pas et répond « ne sait pas » ».

Les réactions de quelques figures du sommet du CD&V – comme Scouppe, le président actuel, ou le Ministre des Entreprises Publiques Vervotte – sur la publication de l’étude ne devait surprendre personne, mais cela ne nous doit pas nous tromper non plus. Etienne Schouppe affirme lors de la fête de nouvel an de son parti que le CD&V doit être « plus à gauche » ou qu’il déclare dans le journal interne Ampersand que le CD&V est « la conscience sociale du gouvernement ». Dans le Knack, il a réagit à l’étude de Dimarso en disant : « L’accent que met notre électeur sur les thèmes socio-économique m’a frappé. Nous aurions dû pousser plus encore en avant notre aile ACW (le Mouvement Ouvrier Chrétien en Flandre) dans la campagne. A l’avenir, nous accentuerons plus fortement nos efforts pour les pensions, les allocations et la sécurité sociale. » Le quotidien flamand « De Standaard » a ainsi écrit le 21 janvier : « Chez des figures du sommet du CD&V, on a pu entendre plus tard que « beaucoup d’espace budgétaire a été pris par la déduction de l’intérêt notionnel et qu’on peut y faire des coupes. » Quant à Inge Vervotte, elle est sous le feu des libéraux parce qu’elle a dit au sujet d’une vente future des intérêts publics dans Belgacom que « cela ne porte pas ma préférence ». Elle a aussi dit à propos de la libéralisation du marché de la Poste en 2011 : « La concurrence ne peut pas avoir comme seule conséquence que les conditions de travail et de salaire se détériorent. C’est pour ça que je veux un comité paritaire dans lequel des rendez vous sont organisés sur les conditions de travail et de salaire minimum pour tout le secteur. A côté de cela, je veux aussi que ces nouvelles entreprises postales offrent un minimum de service. » … « Ces minima vont bien être plus hauts que ce que l’Europe demande. »

De la même manière, la campagne du PS contre les intérêts notionnels – que le PS a pourtant décidé avec le MR au gouvernement violet – ne doit pas nous tromper. Il ne s’agit pas d’un vrai tournant à gauche, même dans la rhétorique, mais plutôt d’un retour à une rhétorique de collaboration de classe et d’ « intérêt général », classique en Belgique, après des années de rhétorique purement néolibérale. Avec l’arrivée de la crise – et même sans cela, il y a déjà 3,5 milliards d’euros de coupes budgétaires pour cette année – un énorme effort sera demandé aux travailleurs et PS et CD&V sont d’accord pour dire qu’il faut alors aussi demander « un effort » au capital. En réalité, une adaptation éventuelle de l’intérêt notionnel sera une mesure minime en comparaison des efforts auxquels devront consentir les travailleurs.

La crise politique actuelle trouve en dernière instance bien plus sa base dans la politique socio-économique menée au-dessus de nos têtes depuis presque 30 années que dans la question nationale. Les acquis de l’après-guerre – obtenus quand la bourgeoisie avait un couteau sur la gorge et construit, accord après accord, par des mouvements de lutte consécutifs de la classe ouvrière – ont été sous pression pendant toute cette période. La sécurité sociale, les services publics, l’indexation,… ont tous été réduit à un fantôme de ce qu’ils ont pu être. Ainsi, l’indexation est aujourd’hui totalement minée. Par rapport aux hauts coûts salariaux et aux revendications patronales pour des diminutions de charges, Gilbert De Swert (l’ancien chef du service d’étude de la CSC et actuel chef de cabinet du ministre CDH Josly Piette) a dit dans De Standaard (le 26 janvier 08) : « Le pouvoir d’achat est aujourd’hui maintenu à niveau par les diminutions de charges. Une partie des augmentations salariales et même des indexations de ces dernières années s’est répercutée par des diminutions de charges sur la communauté. Le modèle a déjà changé. » La part des salaires et des allocations dans le revenu national ne cesse donc pas de diminuer depuis 1981 au bénéfice des profits des entreprises, énormément augmentés. Cette année-là, les salaires et allocations représentaient encore 59,2% du revenu national, mais ce chiffre est tombé sous la barre des 50% pour la première fois en 2006.

Quand à la sécurité sociale, le pays qui se vantait du « meilleur système social en Europe » fait dorénavant partie des pays qui payent les pensions et les allocations les plus basses. Un cinquième des pensionnés belge – un quart à Bruxelles – est aujourd’hui officiellement pauvre. Sur toute la population, la pauvreté a grimpé jusqu’à 15%, et même 17% pour les enfants (12% en Flandre, 21% en Wallonie) (chiffres : www.armoede.be, basé sur une recherche de 2002). La sécurité sociale glisse aussi toujours plus dans la direction d’un système de charité, où seulement ceux « qui en ont vraiment besoin » peuvent en bénéficier. Ainsi, les cohabitants n’ont seulement droit qu’à une toute petite allocation, voire même à rien du tout. Nous payons maintenant plus d’un tiers des frais liés aux soins de santé de notre poche.

C’est dans le cadre de ce contexte que l’ancêtre du CD&V, le CVP, s’est toujours plus réduit à un parti qui a besoin d’un cartel avec un mini parti comme la NVA pour pouvoir parler de lui même comme « le plus grand » de façon persuasive. Le paysage politique en Flandre a sérieusement changé depuis la dernière fois que la chrétienne-démocratie a encore pu occuper une position de majorité absolue. Alors que la stabilité du régime politique belge était autrefois basée sur une continuité au pouvoir du CVP en coalition une fois avec les libéraux, l’autre fois avec les sociaux-démocrates, le paysage politique d’aujourd’hui est sérieusement éparpillé. Le CD&V n’est pas du tout certain d’être capable de répéter son dernier résultat électoral aux prochaines élections. De l’autre côté, le 10 juin – surtout avec l’effondrement du VLD après seulement 8 années de participation gouvernementale, lors d’une croissance économique en plus – a bien démontré que rien ne reste de la « concurrence » que le VLD voulait mener au CD&V pour devenir le principal parti populaire de la Flandre. Si le CD&V a perdu beaucoup de ses partisans – une première détérioration avait commencé avec la mise sur pied de la VolksUnie qui a atteint jusqu’à 20% des suffrages – il dispose toujours d’une position unique en Flandre. Il est toujours lié à la CSC (le plus grand syndicat) et à sa mutuelle, il a toujours grande voix au chapitre avec les institutions catholiques, est dominant dans l’enseignement et les soins de santé, etc. Le CD&V est un instrument affaibli de la bourgeoisie que ne peut néanmoins pas être remplacé aussi facilement que ça.

Durant toute la crise, nous avons soutenu qu’il n’y avait pas en Flandre de majorité en faveur d’une scission de la Belgique. Les déclarations de la part de l’organisation patronale flamand Voka dans l’élan des élections – quand elle revendiquait la régionalisation du marché de l’emploi et de la sécurité sociale – ont été saisies par beaucoup de flamingants et la presse bourgeoise pour mettre en avant « l’unité » en Flandre autour des revendications autonomistes. Pourtant, Voka s’était déjà en août ouvertement prononcé en faveur des propositions de Béa Cantillon (12), lorsque la crise de formation n’en était encore qu’à ses débuts. Entretemps, pratiquement tous les économistes académiques de Flandre et de Belgique francophone se sont rangés derrière une idée semblable (le « fédéralisme moderne ») : ne pas régionaliser, mais responsabiliser. L’Union Wallonne des Entreprises soutient elle aussi cette thèse.

Nous ne considérons donc pas la crise de ces derniers mois comme étant le tantième grand élan vers une Flandre indépendante, mais comme un symptôme clair de l’affaiblissement des instruments politiques de la bourgeoisie, qui est d’ailleurs poussée systématiquement dans la concurrence électorale à cause des nombreuses échéances électorales. Ceci dans le cadre d’une social-démocratie bourgeoisifiée et donc de la disparition, jusqu’à un certain point, de la lutte des classes de l’agenda politique. Ceci aussi dans le cadre d’un système de division du pouvoir entre groupes de la population qui stimule les contradictions nationales : la surenchère communautaire est inhérente au système belge.

Nous pensons que sur base du capitalisme, la scission de la Belgique est possible à long terme, voire même inévitable. Mais à courte échéance, nous ne voyons par contre aucune force dans la société qui voudrait ou pourrait réaliser cela aujourd’hui. Aucune force décisive dans la société ne pourrait y avoir un intérêt immédiat: ni la classe des travailleurs, ni la bourgeoisie, et peut-être même pas la majorité des classes moyennes. L’idée selon laquelle la Flandre aurait quelque chose à gagner économiquement d’une scission a déjà été réfutée par diverses sources. Le fait que, dans l’élan des élections, la FEB s’est opposée à la régionalisation du marché de l’emploi en déclarant ne pas être demandeuse, devrait suffire. L’adaptation des positions de l’organisation patronale flamande Voka après les élections est aussi un élément révélateur.

Les réactions de la presse étrangère, des institutions Européennes, des politiciens étrangers,… illustrent clairement que les nationalistes flamands n’ont aucun soutien, ce qui est assez ironique au regard du fait que l’Union Européenne est bien le cadre dans lequel Bart de Wever, le président de la NVA, rêve de voir se réaliser « l’évaporation de la Belgique ». Sans pouvoir aller en profondeur dans le développement de l’Union Européenne, le rêve « des Etats-Unis d’Europe » dans lesquels les institutions européennes deviendraient une sorte de super Etat – seule possibilité pour que se développe une « Europe des régions » – est plus éloigné que jamais. Le ralentissement de la croissance et/ou la récession ne stimulera pas les contradictions qu’en Belgique, ce sera aussi le cas pour l’Europe. Ces dernières années, nous en constatons de plus en plus d’indications, comme par exemple le non-respect du Pacte de stabilité par de grands pays tels que la France, l’Allemagne et l’Italie. Arriver à une position européenne commune sur la politique extérieure est aussi extrêmement difficile, qu’il s’agisse du Kosovo, de la Turquie ou encore de l’Irak. Cela ne signifie pas que nous pensons que l’Europe éclatera à court terme, mais l’idée selon laquelle l’UE se développerait vers un véritable Etat européen est inimaginable sur base du capitalisme. A court terme, le pouvoir réel des structures européennes sera plutôt réduit que renforcé sous la pression du ralentissement de la croissance/crise, au fur et à mesure que chaque bourgeoisie sera confrontée à son « propre » mouvement ouvrier.

Nous considérons d’ailleurs une scission « de velours » de la Belgique comme un fait extrêmement improbable. Une scission douce d’un Etat, l’instrument à travers lequel la bourgeoisie exerce son pouvoir, ne peut se produire que dans des circonstances exceptionnelles, comme la scission de la Tchécoslovaquie l’illustre. Bon nombre de conditions qui manquent en Belgique étaient alors réunies : il n’y avait pas de capital partagé par les deux groupes de la population, ni de divergences sur les frontières territoriales des nouveaux Etats indépendants, aucune dette publique extrêmement élevée n’était à diviser,… Mais il manquait surtout une bourgeoisie historiquement formée considérant le vieil Etat comme « le sien ». Au contraire, la nouvelle bourgeoisie devait encore décider quelles structures lui convenaient le mieux. La Belgique est une histoire complètement différente.

Il est correct d’affirmer que le nationalisme belge est étrange. Celui qui est resté convaincu lors de la crise de formation du gouvernement que ce phénomène n’existe carrément pas doit avoir porté des œillères en permanence. Ce nationalisme est présent même à Bruxelles où, vers la fin, on pouvait trouver une multitude de drapeaux belges. Les appels à l’unité du pays pleuvaient de la part de figures de haut rang de la bourgeoisie belge, de la part des syndicats et de toute sorte d’institutions, jusqu’à Helmut Lotti et les ménagères (voit l’appel issu de Liège). Celui qui estime que « peu de monde » était présent à la manif pour l’unité de la Belgique doit d’urgence aller regarder combien de personnes sont préparées à descendre dans la rue pour supporter les revendications nationalistes flamandes. Même les grands-messes flamandes telles que le pèlerinage de l’Yser attirent de moins en moins de gens. Au dernier pèlerinage, la mobilisation était d’ailleurs la plus faible de son histoire : 3.000 participants selon le comité du pèlerinage de l’Yser lui-même.

Nous ne voulons pas nier l’existence de la question nationale, ni le fait qu’il est de toujours plus difficile de trouver des compromis, ni le fait que les compromis du passé ont mené à des situations qui provoquent de nouvelles contradictions et des revendications collatérales, ni encore le fait que cela bloque régulièrement toute prise de décisions. Une nouvelle technologie institutionnelle n’apportera d’ailleurs aucune solution fondamentale: le problème sera simplement reporté et éventuellement postposé. Une circonscription fédérale, par exemple, éparpillerait plutôt la surenchère communautaire à tout le pays plutôt que de l’affaiblir. La raison principale qui explique que la bourgeoisie belge a toujours pu contrôler la question nationale en Belgique n’est pas tellement son inventivité constitutionnelle (des réformes d’Etat ont très peu à voir avec une politique inspirée, mais plutôt avec des chiffres de fonctionnaire et avec l’art de la rhétorique pour trouver des formulations suffisamment vagues), mais l’énorme richesse générée par la classe des travailleurs belge avec laquelle la question nationale a toujours été rachetée et la cohérence belge renforcée.

La Belgique est un petit pays, mais un petit pays très riche. Sa bourgeoisie a saisi la mondialisation afin de se servir dans le nouveau butin. La bourgeoisie belge est, en Europe, certainement l’une de celles qui a le plus d’intérêt dans l’UE, justement à cause de l’ouverture de notre économie. Mais est-ce que la bourgeoisie belge est par conséquent « dénationalisée »? Dire cela revient à dire que la bourgeoisie belge n’aurait pas besoin d’Etat, ce qui est une illusion. Evidemment, l’Etat Français défendra les intérêts du belge Albert Frère, actionnaire principal de Suez, mais le territoire Belge ne dispose ainsi pas encore d’un Etat. De plus, la bourgeoisie française, considérée par les capitalistes belges comme « la famille » serait en Europe parmi les adversaires les plus farouche d’une scission de la Belgique par crainte de l’inspiration que cela pourrait donner à ses propres régions « bruyantes » (la Bretagne, la Corse,…). Est-ce que la bourgeoisie ne serait plus intéressée par le territoire belge? Un pays qui est le plus grand exportateur par habitant au monde? « La Belgique est, avec sa surface de 30.500 kilomètre carrés et ses 10.446.000 habitants, un des Etats membres les plus petits de l’Union Européenne. Elle a pourtant un PIB de 288,09 milliards d’euros (en 2004) et est l’une des dix plus grandes nations commerciales au monde. Son poids économique relativement lourd est surtout dû à sa situation centrale et à la productivité élevée de ses forces de travail. », écrit sur son site le Service Publique Fédéral des Affaires Etrangères, du Commerce Extérieur et de l’Aide au Développement. En plus, la Belgique, malgré ses coûts salariaux trop élevés, attire plus d’investissements extérieurs que la Chine avec son énorme territoire, sa croissance économique de la dernière décennie et sa population de plus d’un milliard de personnes ! Ce n’est pas intéressant ?

Aujourd’hui, il est difficile de trouver un compromis parce que, tel que le déclare Guy Verhofstadt « il n’y a plus d’argent », ou plutôt: la Belgique a des habitants très riches (la fortune financière des Belges est d’environs 860 milliards d’euros), mais l’Etat fédéral est vidé. Il devient difficile de racheter la question nationale avec des accords onéreux. C’est relativement dépendant des choix effectués, mais dans le cadre de la politique néolibérale, c’est une thèse correcte. L’idée selon laquelle l’Etat fédéral peut faire couler encore plus de moyens vers les régions sans assainissements durs dans les matières encore fédérales – et surtout la sécurité sociale – est inimaginable si l’on veut continuer la politique d’amortissement des dettes et de diminution des charges. Les partis flamands se disent prêts à accepter des compétences supplémentaires sans moyens supplémentaires, mais l’autorité flamande connait des surplus année après année, n’a plus de dette, peut offrir des cadeaux aux communes,… Mais cela encore est relatif: l’autorité flamande possède ces surplus aussi parce que chacune de ses compétences sociales connait d’énormes listes d’attentes. Il y a manifestement pénurie de maisons de repos à prix abordables et d’autres formes d’accueil pour les personnes âgés, pour les personnes handicapées,… et il en va de même pour les institutions de jeunesse (à Anvers seulement, 1.000 jeunes se trouvent dans des « situations d’éducation problématiques » et se retrouvent sur une liste d’attente). Des centaines de bâtiments scolaires sont depuis des années sur des listes d’attentes pour des « rénovations d’urgence »,… C’est la politique néolibérale – où de plus en plus d’argent se dirige vers les patrons et les riches et de moins en moins vers le revenu et les besoins sociaux de la majorité de la population – que l’on qualifie « d’exemple à suivre » pour la Wallonie et Bruxelles, qui connaissent des situations économiques pire encore. Ainsi, le CDH s’oppose au transfert des compétences sans transfert de budgets et le PS aussi s’y opposera. La proposition de Bea Cantillon est la seule qui évite cet écueil et est donc de fait celle qui a les meilleures chances de passer.

Finalement, tout dépend du mouvement ouvrier

Ce que la bourgeoisie veut, nous le savons : repousser le plus possible les acquis de l’après-guerre. La méthode qu’elle utilisera pour le faire n’est pas encore sûre et dépend des négociations. En cas de possibilité d’accord sur la réforme d’Etat, l’idée fixe de Didier Reynders – rejeter le PS dans l’opposition dès le 23 mars – n’a aucune chance. L’idée d’une politique socio-économique dure qui mène l’offensive sur le plan fédéral – à un moment où une partie au moins de la classe ouvrière se prépare à revendiquer sa part des profits records engrangés pendant des années – n’est imaginable que si on réussi à obtenir un gouvernement stable. Et avec les élections de 2009 très proche, cela semble inimaginable aujourd’hui. N’importe quel gouvernement va avoir maille à partir avec une campagne électorale et donc avec un ardent désir de se profiler pour les différents partis. La stratégie de régionalisation – ou de «responsabilisation des régions», un type de financement par enveloppe – semble plus probable. Et cela n’est possible qu’avec le PS. On espère pouvoir répéter l’opération « démantèlement de l’enseignement » sur le plan de la sécurité sociale. Il est très probable que le gouvernement intérimaire doivent encore durer jusqu’aux élections de 2009, mais la forme ou la composition qui sera adoptée n’est pas certaine – mais il est improbable que l’après 23 mars connaisse un gouvernement sans le PS.

Il n’est pas sûr que nous nous dirigions vers un grand plan d’attaque avant 2009, mais les chiffres (3,5 milliards de coupes budgétaires) poussent dans cette direction. Le début d’une récession économique va être instrumentalisé comme argument pour faire avaler des efforts d’austérité au mouvement ouvrier. Que ce plan débouche alors sur une réaction massive du mouvement ouvrier est probable en ce moment, c’est la raison pour laquelle le CD&V utilise maintenant une rhétorique plus sociale, c’est la raison aussi pour laquelle le PS devait être au gouvernement. Reynders arrive trop tard avec sa proposition d’un gouvernement socio-économique de droite – l’ambiance dans le mouvement ouvrier commence toujours plus à basculer en Belgique, mais aussi dans les autres pays européens et dans le monde, suivants les précurseurs initiés par la tendance en cours en Amérique Latine.

Mais même si le gouvernement ne réussi pas à se former, si on se retrouve avec un « gouvernement intérimaire» jusqu’en 2009 et si un tel plan d’attaque ne vient pas (bien qu’un plan d’assainissements est inévitable avec la crise qui se profile et les données budgétaires actuelles) il reste probable qu’il va avoir des luttes. Qu’importe combien de fois les organisations patronales répètent leur argument sur « l’hystérie autour du pouvoir d’achat » ou sur « le mythe de la baisse du pouvoir d’achat » – dans le cadre de la pire période des soldes en cinq années et d’un Salon de l’Auto qui a connu une perte d’un quart de ses visiteurs et de 10% d’acheteurs – la plupart des travailleurs ressentent quotidiennement que ce qu’ils peuvent obtenir avec leurs sous a diminué. S’ils veulent maintenir leur standard de vie, ils doivent se battre pour une augmentation salariale, certainement dans ces secteurs où on paye des bas salaires et où les gens sont donc confrontés de façon non proportionnelle aux conséquences de la baisse du pouvoir d’achat. La lutte pour des augmentations salariale a commencé, pas seulement en Belgique (en ce moment surtout en Flandre, où les déclarations sur la pénurie de travailleurs, les surplus budgétaires flamands, etc. ont donné aux travailleurs plus de confiance pour pousser leurs revendications, alors qu’en grandes parties, en Wallonie, le chômage prend des formes toujours plus dramatiques), mais aussi en Allemagne et en France par exemple.

Les grèves chez Ford et les sous-traitants ont de suite été attaquées dans la presse bourgeoise, De Standaard en tête. « Des grèves irresponsables », ont-ils déclaré en continuant à accuser les grévistes de mettre le système d’indexation et la concertation collective en danger. Marc De Vos, directeur de la cellule de réflexion « Itinera Institute », voit surtout une cause sectorielle à l’origine de ces actions ; le nombre de « bonnes années » qu’ont connu les entreprises automobiles après des restructurations pénibles (toutes les citations de ce paragraphe viennent du quotidien flamand De Standaard, pour le week-end des 26 et 27 janvier de cette année). Mais les patrons craignent plus, « Unizo (organisation patronale flamande) disait avant-hier disposer d’indications selon lesquelles la vague de grèves risque de passer à d’autres secteurs et régions. C’est bien possible, dit Gilbert De Swert, et ce serait à juste titre ». De Swert observe, à côté du pouvoir d’achat en baisse, aussi la frustration «que la différence entre les revenus hauts et bas déraille» et voit le fait que la part des salaires a baissé pour la première fois en dessous de 50%, ce qui est synonyme de dépasser « une frontière psychologique ». Pour la direction syndicale, avec les élections sociales de cette année, ce n’est pas évident d’arrêter un tel mouvement, une fois que ce mouvement a commencé à la base.

Il y a certainement possibilité d’un développement ultérieur de cette lutte au printemps, mais même si une certaine pause suivrait pour cause du rôle de frein des directions syndicales, cet automne sera de toute façon placé dans le cadre des salaires et du pouvoir d’achat avec les négociations pour un nouveau accord interprofessionnel (AIP). Les élections sociales sont en ce moment derrière nous et des élections monstres sont devant nous (avec les scrutins régionaux, européen et très probablement aussi fédéral). Dans ce cadre – ralentissement de la croissance économique et/ou une récession, tensions sociales, crise politique et surenchère communautaire – le MAS/LSP va devoir se bouger dans la période qui vient. Nous allons devoir surtout être prêts à jouer rapidement avec des changements dans la situation objective, et nous devons tenir un œil sur les différents facteurs qui sont d’importance décisive dans cette situation objective et dans la conscience du mouvement ouvrier. L’étude du passée nous apprend que les périodes de basculement, de changement de la situation objective, sont des périodes dans lesquelles la conscience peut se développer rapidement. Aujourd’hui, nous sommes devant un tel basculement d’une économie en croissance vers une économie en baisse à un moment où le mouvement ouvrier réclame encore sa part du gâteau d’hier.

 


Références

 

12. Dans ces propositions « la sécurité sociale étant une redistribution interpersonnelle » devrait pouvoir rester fédérale, mais « les régions doivent être financièrement responsabilisés à travers un système de boni-mali pour les conséquences de leur politique ». Puis, selon Cantillon, il faut une concertation entre les diverses autorités compétentes sur toutes les matières communautaires ayant une importance pour la sécurité sociale fédérale. Finalement, « les régions doivent, où cela a du sens, avoir la compétence d’utiliser certains moyens de la sécurité sociale – qui pourraient être adjugés selon une répartition négociée entre communautés – en accord avec les nécessités et les besoins dans la communauté propre. » (« Quel est encore le caractère social de la sécurité sociale », Bea Cantillon, Vice-recteur de l’université d’Anvers, directeur du Centre de Politique Sociale Herman Deleeck

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