Brésil : Victoire pour la lutte de masse

Les gouverneurs de Sao Paulo, Rio de Janeiro et beaucoup d’autres villes ont réduit les prix des transports mais la lutte doit continuer

Suite au tsunami de luttes de masse de ces derniers jours, le gouvernement d’Etat de Sao Paulo, les préfets de Sao Paulo et Rio de Janeiro (les deux plus grandes villes brésiliennes) et des dizaines de capitales d’Etat et de villes de tout le pays ont décidé de réduire le prix des transports.

Article par ANDRE FERRARI, LSR (CIO au Brésil)

 

La réduction des prix, de 20 centavos à Sao Paulo, dans autant de villes, représente la victoire la plus considérable pour la lutte de masse après près de 20 ans d’offensive néolibérale de la classe dirigeante contre les travailleurs et les pauvres.

Les gouvernements d’Etat intransigeants, autoritaires et répressifs ont été forcés de faire marche arrière après deux semaines de mobilisation intense, qui ont balayé tout le pays. Le 17 juin, plus de 300 000 personnes sont descendues en rue dans différentes villes. Près de 200 000 personnes ont manifesté à Sao Paulo et Rio, là où la mobilisation est le plus concentré. A Brasilia, le Congrès a été occupé, ainsi que l’hôtel de ville de Sao Paulo.

A Sao Paulo, les manifestations ont paralysé les principales grandes routes et manifesté vers Ponte Estaiada, un monument à de riches spéculateurs immobiliers. Après une répression policière brutale la semaine précédente, qui a déclenché des manifestations encore plus grandes, le 17 juin, le gouverneur d’État a décidé de ne pas aller plus loin dans la répression.

A Rio de Janeiro, cependant, il y a eu une répression très forte et de nombreuses arrestations, dont un membre du LSR (Liberté, Socialisme et Révolution, section du Comité pour une Internationale Ouvrière au Brésil). Le camarade a été accusé d’être ‘‘membre d’un gang criminel organisé’’ et relâché avec une amende. A Bell Horizon (dans l’État de Minas Gerais), où un match de football pour la Copa das Confereacoes avait lieu dans le nouveau stade moderne, il y avait plus de personnes qui manifestaient devant le stade que de spectateurs à l’intérieur.

80 000 personnes ont répondu à l’appel à une nouvelle manifestation le lendemain 18 juin à Sao Paulo, qui a complètement occupé la place Praca da Sé, dans le centre ville. Au même moment, des manifestations avaient lieu à Avenida Paulista, où il y a eu des tentatives désorganisées de prendre l’hôtel de ville et le bureau du préfet de la ville. A Rio de Janeiro, la veille, les bureaux de l’Assemblée Législative d’État a été occupée pendant des heures par des manifestants d’une telle manière que c’était clairement une authentique rébellion populaire.

Toute la journée du 19 juin, des manifestations de masse ont eu lieu. Les autoroutes étaient bloquées et fermées, les arrêts de bus étaient entravés et dans la banlieue de Sao Paulo, le MSTS (Mouvement des Travailleurs Sans Toit) ont organisé des manifestations dans les grandes rues, avec la participation active du LSR (CIO-Brésil). Des signes montraient que la lutte se radicalise et commence à exploser dans les endroits pauvres autour de la ville, incluant les travailleurs, ce qui ajoute à la pression sur le gouvernement.

Suite à l’appel à de nouvelles manifestations unifiées, à un niveau national, le 20 juin, les autorités de Sao Paulo et de Rio ont décidé d’annoncer la réduction des prix. [Cet article a été initialement publié le 20 juin, et ce jour-là, plus d’un million de personnes ont manifesté dans tout le pays, NDLR]

Divisions dans les partis au pouvoir

Cela est ressorti de débats importants et de divisions au sein des partis au pouvoir. Une réunion d’urgence a été organisée, avec Lula (l’ex-président du Brésil, qui n’a pas de fonction officielle aujourd’hui), la présidente Dilma Rouseff et le préfet de Sao Paulo, Fernando Haddad. Pendant cette réunion, la Prefectura était cernée de manifestants.

Le matin suivant, Haddad a déclaré qu’une réduction des tarifs des transports serait une position ‘‘populiste’’. Cependant, cette argumentation a fait long feu. A un match de football entre le Mexique et le Brésil, à Fortaleza, où le stade était entouré de manifestants, une conférence de presse a été organisée par Haddad et le gouverneur de Sao Paulo, Alkmin, membre du parti de droite PSDB (Parti Social Démocrate Brésilien, en opposition au gouvernement fédéral). Hadda et Alkmin ont annoncé qu’une réduction des prix serait appliquée.

On retrouve un sentiment antiparti dans beaucoup de couches du mouvement en raison du fait que le PT (Parti des Travailleurs) s’est transformé en un parti ouvertement capitaliste, et que la confédération syndicale CUT est devenue une courroie de transmission du gouvernement fédéral. Dans cette situation, des sections de la droite organisée ont attisé un fort rejet des partis, dirigé contre les partis politiques de gauche présents dans les manifestations. Le sentiment antiparti s’est souvent traduit par des attaques physiques contre ceux qui portent des bannières et des drapeaux de partis de gauche. Il est souvent arrivé que les provocateurs de droite à la base de ce type d’agissement se révèlent par la suite être des agents de police infiltrés.

Étant donné les dimensions exceptionnelles de ce mouvement de masse, toutes les forces politiques du pays – y compris des représentants du gouvernement fédéral et des fédérations patronales – ont de manière très cynique tenté de récupérer à leur compte l’idéalisme de la jeunesse qu’illustre ces mobilisations. La classe capitaliste brésilienne est entrée en lutte et elle se bat pour obtenir la direction du mouvement en reprenant certaines de ses revendications.

Dans cette situation, les partis de gauche (le P-SOL, le PSTU et le PCB), les mouvements sociaux qui ont une orientation de classe (comme le MTST et Terra Livre, avec lesquels le LSR collabore activement), différents fronts syndicaux (comme CSP-Coluntas, Intersindical et d’autres) et certains groupes anarchistes commencent à rejoindre le mouvement. Cela était particulièrement visible dans le cadre des mobilisations pour le 20 juin. Ils défendent tous le droit des partis de gauche à venir manifester librement sous leurs bannières et visent à empêcher la droite de s’attirer un soutien dans le mouvement.

Malgré les éléments contradictoires dans la conscience politique des participants au mouvement, celui-ci est tout de même parvenu à obtenir une victoire et à réduire les frais de transport. Maintenant, la question se pose de voir comment poursuivre la lutte. Aucun accord n’existe sur cette question entre les mouvements sociaux combatifs et la gauche. Les manifestations du 20 juin pourraient ainsi devenir qu’une commémoration de ce qui a été accompli plutôt qu’un pas en avant pour continuer le mouvement.

Le LSR appelle à l’organisation d’assemblées et de forums du mouvement afin d’établir un cahier de revendications et un programme destiné à approfondir les acquis déjà remportés sur les prix du transport public. Les gouvernements qui ont annoncé une réduction des coûts du transport annoncent aussi des coupes budgétaires dans les programmes sociaux. Le mouvement devrait demander que les moyens nécessaires à la satisfaction des besoins sociaux soient pris sur les comptes des entreprises privées qui exploitent le système de transport et non pas dans d’autres programmes sociaux.

Même après réduction des prix du transport, le coût des déplacements est un lourd fardeau pour les travailleurs et les étudiants. La revendication pour le transport gratuit était l’une des vieilles revendications du PT, que le parti a abandonnée en virant à droite. Cette revendication devrait être reprise. Elle devrait aussi être liée à la revendication de la municipalisation et de la nationalisation du système de transport.

Les ressources pour garantir ce système et l’améliorer en qualité devraient être trouvées en suspendant le paiement des dettes des conseils locaux et d’États au gouvernement fédéral, dettes qui sont pour l’instant utilisées pour faciliter la recherche de profits des banques et des spéculateurs.

Le mouvement a besoin de se lier à d’autres luttes

Pour continuer la lutte pour un transport public gratuit et de qualité, les mouvements doivent se lier à d’autres luttes qui ont défendu les revendications des travailleurs, des jeunes et des habitants des villes. Il faut particulièrement se lier à la campagne contre les crimes commis dans la préparation de la prochaine Coupe du Monde qui aura lieu l’année prochaine au Brésil. Des milliers de familles ont été expulsées de leurs maisons à cette fin. Des millions de réals sont dépensés dans la construction de nouveaux stades et d’autres projets d’infrastructure pour la Coupe du Monde alors qu’il y a insuffisamment d’écoles et d’hôpitaux.

Il est aussi nécessaire de soulever les revendications de la défense des droits démocratiques, de la liberté d’expression et du droit de manifester. La Coupe du Monde signifie, en réalité, la déclaration de l’Etat d’urgence. En pratique, cela signifie la criminalisation de la pauvreté et des mouvements sociaux contestataires.

Il est également nécessaire d’approfondir les actions de masse pour attirer directement à ce mouvement la classe ouvrière et reprendre les méthodes de lutte de la classe ouvrière dans ces mobilisations, comme le recours à l’arme de la grève et de la grève générale. C’est la meilleure façon d’empêcher la droite de gagner une influence dans le mouvement. La classe dirigeante brésilienne prépare en ce moment les conditions pour la tenue d’une grève générale. La question d’une grève générale de 24 heures est à poser tôt ou tard si nous voulons que le mouvement se maintienne et se renforce.

Il est urgent de construire un front uni des mouvements sociaux et politiques de gauche à court terme dans la perspective d’une lutte pour une assemblée nationale des travailleurs, des jeunes et des communautés qui pourrait discuter d’un programme de lutte et du type de plan d’action à appliquer.

Une nouvelle page s’est tournée concernant la lutte de classe au Brésil. Après une longue période, nous sommes sortis d’un désert d’années de néo-libéralisme et d’étouffement des luttes sociales. Nous ne devons pas gaspiller cette opportunité.

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